Les Français installés en Afrique subsaharienne sentent bien que l’environnement dans leurs pays d’accueil se dégrade. Ceux installés depuis longtemps, voire depuis plusieurs générations, ont la vision en profondeur de cette réalité. Le changement climatique explique en partie le chaos sahélien, le braconnage dans les réserves naturelles se poursuit, la pression foncière autour et dans les dernières forêts primaires s’intensifie, l’exploitation minière sauvage confiée à des conglomérats d’industries extractives se développe, certaines parties côtières du golfe de Guinée reculent.
Les villes sont saturées de déchets plastiques qui viennent boucher les canalisations et aggraver les conséquences des inondations dues aux pluies diluviennes plus fréquentes, les sols latéritiques se dégradent avec la déforestation. Le tableau est sombre et on ne perçoit pas bien l’impact des politiques publiques de protection de l’environnement appuyées depuis des décennies par les coopérations internationales. Ça et là, il y a quelques succès et des améliorations : aménagements routiers, petites infrastructures, développement de filières de déchets dans les villes, structuration communautaire des riverains pour protéger des sites naturels, circuits de production agricoles démonétarisés, développement de l’énergie solaire de proximité, reconstitution de quelques mangroves, agriculture de niche.
On peut également citer la lutte contre l’extinction de certaines espèces menacées de disparition : les girafes au Niger, les lamantins au Bénin ou les chimpanzés en Côte d’Ivoire. Ces petites victoires, très souvent le résultat du militantisme d’associations locales intégrées dans les grands réseaux internationaux de protection de l’environnement, n’empêchent pas une dégradation continue des milieux naturels que l’explosion démographique aggravera. Les nombreuses initiatives de terrain montrent une réelle prise de conscience mais ne font pas encore système pour changer la trajectoire. Beaucoup de Français participent à la lutte pour la préservation de la nature, que ce soit dans les entreprises d’énergie renouvelable, par l’engagement dans les ONG spécialisées ou par l’enseignement à l’environnement dans les collèges et lycées.
Le pire est-il certain ?
« L’environnement, ce n’est pas la priorité des Africains » entend-t-on souvent. Au mieux, à partir d’une bonne intention, cette idée communément admise signifie que les questions de survie primeraient sur celles de la préservation de l’environnement. Parfois, ces propos cachent mal une forme de racisme, mais ils sont toujours une erreur d’analyse. En effet, malgré l’urbanisation croissante, la vie ordinaire des habitants des villes, même dans les quartiers les plus précaires, reste encore marquée par les usages de la vie rurale : propreté de l’espace privé et de son environnement immédiat, hygiène individuelle stricte, économie de moyens, équilibre alimentaire, préservation de l’eau, diététique de l’existence, mutualisation des moyens. Ces habitudes ne sont pas toujours celles de la nécessité mais souvent celles d’une mémoire villageoise encore récente de proximité avec les contraintes naturelles. Les problèmes auxquels les habitants doivent faire face tiennent d’abord à la faiblesse de la réflexion des pouvoirs publics et à la mauvaise qualité des infrastructures et équipements collectifs, voire à leur absence…
Les villes africaines dans leur forme contemporaine sont jeunes au regard de l’histoire de longue durée des territoires où elles ont été bâties. Elles se sont structurées autour des quartiers et des services coloniaux (quartiers européens, quartiers indigènes, écoles, administration coloniale, casernes, ports, infrastructures commerciales, lieux de culte). L’afflux exponentiel de nouveaux habitants, que l’intégration des nouveaux pays indépendants dans l’économie mondiale demandait et demande encore, n’a pas été géré. Aujourd’hui, les grands centres urbains africains qui concentrent jusque 50% des habitants d’un pays sont des successions de quartiers indépendants ou de communes autonomes aux axes embouteillés, qui continuent de s’étendre et que les plans d’urbanisation successifs n’arrivent pas à rattraper.
Selon l’ONU, dans trente ans, il y aura
800 millions d’habitants en Afrique de l’Ouest (400 aujourd’hui), dont la moitié vivront dans des villes. Cette multiplication par deux du nombre de personnes à nourrir emportera les restes de nature préservée. De nouveaux quartiers précaires, sans cadastre, se créent chaque année aux périphéries des villes. En juillet 2020, les coulées de boues dans les quartiers d’Abidjan sans infrastructures urbaines ont fait plus de vingt victimes ensevelies dans les bas-fonds.
« Là où croît le danger, naît ce qui sauve » (Friedrich Hölderlin)
Pourtant, dans ces chaos urbains annoncés, des réflexions et des expérimentations pour une refondation des cités émergent. Le constat d’une urbanisation sans lien avec l’histoire profonde et les cultures locales est partagé par les nouvelles générations d’architectes urbains qui sortent des écoles africaines maillées avec leurs homologues sur les autres continents. Les Français installés en Afrique vivent aussi la réalité de l’avance prise par les citadins africains sur ceux du vieux continent dans la digitalisation de la vie quotidienne.
Dans ce contexte, à la fois d’urgence, de modernité numérique et de force de la tradition du vivre ensemble africain, les ingénieurs et bâtisseurs africains actuels pensent une nouvelle modernité urbaine. Sénamé Koffi, par exemple, de l’école d’architecture de Lomé ne parle pas de revisiter un folklore perdu auquel on renvoie souvent l’Afrique mais d’une réappropriation du vernaculaire qui est encore possible et il le prouve. Il propose une nouvelle architecture urbaine en s’appuyant à la fois sur les pratiques les plus modernes en urbanisme et en science des matériaux mais aussi sur l’anthropologie. A partir de son fab-lab de Lomé (littéralement en anglais « fabrication-laboratory »), il fait participer les habitants des quartiers à la conception concrète des maisons de quelques quartiers délaissés et de leur agencement avec des services collectifs. Il ne s’agit pas simplement pour lui de loger des gens mais de leur faire habiter un lieu. Toujours selon cet architecte, le village en Afrique fonctionne encore mais pas la ville, alors il faut transposer les codes du village à la ville.
Dans son fab-lab il forme les jeunes au numérique en s’inspirant des approches initiatiques. Ils sont de plus en plus nombreux en Afrique à partager ces idées novatrices. Là où le danger environnemental croît, naît ce qui sauvera, serait-on tenté de dire en paraphrasant le poète. Pour autant, afin que ces initiatives accèdent à une masse critique suffisante pour reprendre la main sur la trajectoire mortifère, faudra-t-il que la démocratie participative ne soit pas qu’anecdotique et que les financements publics servent effectivement les biens communs. Les droits de l’homme dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ne sont pas une variable d’ajustement des relations internationales, mais leur fondement.
Christophe Courtin, section Côte d’ivoire