Excepté une petite période en France entre 1985 et 1986, je vis à l’étranger depuis 1983. A l’époque, le service militaire existait encore. Or, étant enseignant, il m’était possible, au lieu de faire un service militaire classique, d’obtenir un poste de VSNA (Volontaire du service national actif). Nous partions pour dix-huit mois et complétions la seconde année d’enseignement par un contrat civil de six mois. A partir de ce moment, le Brésil d’abord, l’Argentine ensuite, devinrent mes lieux de vie. Je n’ai enseigné que dans deux établissements : le lycée Pasteur à São Paulo et, à partir de 1990, le Collège franco-argentin de Martinez dans la banlieue de Buenos Aires. J’ai donc connu la période antérieure à la naissance de l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger). J’obtins ensuite un poste de résident dès la création de ce statut, poste que j’ai gardé jusqu’à ma retraite, en 2018. En comparaison avec le parcours d’autres résidents, je suis un vrai dinosaure.
A partir du moment où on s’installe dans un pays et qu’on fonde un foyer binational, le tourbillon du quotidien correspond à celui d’une vie de famille tout ce qu’il y a de plus classique avec, tout de même, quelques particularités idiosyncratiques, linguistiques et relationnelles puisqu’il y a le lien avec les proches de l’autre côté de l’Atlantique. Le monde de l’enseignement et des enseignants, je parle au vu et au su de mon expérience, naturellement, me fait penser à une île : le contact avec la communauté française se limite à celle des parents et des collègues. On fait son travail, les possibilités d’évoluer dans son métier étant somme toute assez réduites, il ne reste plus qu’à suivre les divers et nombreux courants pédagogiques qui ont égrené mes années d’enseignement.
Finalement, durant de longues années, j’ai vécu comme un Français dans un pays étranger marié avec une personne d’une autre nationalité. De plus, n’enseignant pas à Buenos Aires même, j’étais somme toute assez éloigné de ce qui se passait à l’ambassade ou dans d’autres réseaux de la communauté française.
Cependant, les enfants ayant grandi, j’ai senti – au bout d’un moment – le besoin de casser le cocon dans lequel je vivais. Un jour, j’ai entendu parler de Français du monde qu’on appelait encore ADFE. J’ai appris que la section de Buenos Aires n’existait plus en raison de sombres querelles de pouvoir et d’ambitions un peu pathétiques et que du coup, la gauche n’allait plus être représentée à l’issue des prochaines élections à l’AFE. Ce fut d’ailleurs le cas. Alors, avec Josiane, qui travaillait au consulat, nous avons décidé de « remonter »
la section à nous tout seuls.
Cela a commencé par des courriers envoyés un peu partout en Argentine. Un jour, nous reçûmes une réponse de Luis, un Français totalement intégré à la vie argentine, prêt à s’embarquer avec nous dans cette aventure. Un vrai travail de titan puisque nous sommes partis de rien et que nos temps libres n’étaient pas si élastiques que cela. Trouver suffisamment d’adhérents, exister à nouveau auprès des instances, écrire les statuts, être représentés dans les diverses commissions, organiser des réunions pour des événements importants… bref, nous étions très fiers, tous les trois, d’avoir pu faire renaître l’ADFE à Buenos Aires. En 2009, nous avons pu reconquérir un siège aux élections à l’AFE : la machine était lancée.
Après ces premiers succès, j’ai passé un peu le relais, histoire de laisser à d’autres le soin de mener la barque. Puis la retraite est arrivée et, tout d’un coup, se présentait devant moi tout ce que je ne pouvais pas faire quand j’enseignais : aller à la rencontre des gens, m’intéresser d’un peu plus près à la communauté française ou, après avoir senti mon utilité envers de nombreuses générations d’enfants, continuer à l’être mais d’une autre façon.
Celà m’a conduit à me lancer dans un projet ambitieux. Tout a commencé au Chili, en 2013, lors d’un stage de formation à Santiago. Comme j’en avais l’habitude, je contactais les membres de la section chilienne de Français du monde afin de passer un moment avec eux. C’est alors que Michel Bourguignat, son président à l’époque, me parla du travail qu’il avait préparé à l’occasion de la commémoration des quarante ans du coup d’Etat du 11 septembre 1973 au Chili.
Après avoir convaincu les membres de notre section locale, j’ai obtenu ensuite l’accord du siège de notre association ainsi qu’une aide financière de nos sénateurs, Hélène Conway-Mouret et Richard Yung. Avec une petite équipe de passionnés, nous nous sommes alors lancés à la recherche de témoins ayant vécu la période de la dictature à partir d’un double fil rouge : être français ou être argentin possédant un lien, quel qu’il soit, avec notre pays.
Cette double approche nous ouvrait des perspectives plus qu’intéressantes puisque nous pouvions nous pencher sur le vécu de témoins en Argentine et sur celui des exilés argentins en France. L’idée était d’éditer le livre en 2016 à l’occasion de la commémoration du coup d’Etat, 40 ans après. Mais le projet a pris une toute autre ampleur dépassant de loin son idée première. La recherche de témoins (52 à ce jour) des deux rives de l’Atlantique, les entretiens, l’analyse de documents d’époque, la vérification d’informations, la mise en forme de l’ouvrage, les transcriptions des témoignages (audio et vidéo), leur traduction, les corrections, la relecture par ces mêmes témoins, puis, enfin, la recherche d’un éditeur ont largement repoussé les échéances.
Si tout va bien, l’édition argentine sortira le 24 mars 2020. Mais ce projet ne s’arrêtera pas là puisque l’idée est de réaliser également une édition en langue française. Croisons les doigts !