Le droit à mourir dans la dignité est un sujet de société qui s’invite de manière permanente dans les débats car il concerne tout un chacun. Retour sur l’évolution de cette question.
Depuis 2007, vous êtes représentant (successivement comme vice-président, président et président d’honneur) de l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD), pouvez-vous nous raconter quels sont les objectifs que l’association poursuit ?
L’ADMD, depuis 1980 et de manière constante, demande la possibilité pour chacun de rester maître de son propre parcours de fin de vie. La dignité qui forme le nom de notre association est le respect de la parole et des volontés de toutes les personnes en fin de vie, qu’elles souhaitent obtenir une place en unité de soins palliatifs, bénéficier d’une euthanasie ou d’un suicide assisté, ou bien encore d’une obstination raisonnable, car il est tout de même choquant de lire que certains médecins, parmi les plus acharnés contre l’aide médicale active à mourir, déclarent qu’ils ont débranché des respirateurs pour libérer des lits.
En 2019, vous aviez répondu à un entretien pour notre magazine[1], quelles sont selon vous les avancées depuis lors ?
Depuis la loi de 2016 – qui fut une régression par rapport à la loi de 2005 et du décret de 2010 qui prévoyait déjà la sédation terminale – il n’y a eu aucune avancée. Pire, l’interprétation de la loi de 2016 l’a rendue encore plus restrictive, car si cette loi ne s’appliquait, selon le législateur, qu’en cas de pronostic vital engagé à court terme, elle ne s’applique aujourd’hui, du fait de sa lecture par la Haute Autorité de Santé, que dans les toutes dernières heures, voire les tous derniers jours de la vie. Autant vous dire que si vous êtes atteint de la maladie de Charcot, il faut attendre d’être entré depuis longtemps dans la phase agonique pour en bénéficier, c’est-à-dire lorsque vous commencez à étouffer du fait de la paralysie des muscles de la respiration. Cette loi peut être une abomination pour certains.
Le président de la République a déclaré qu’il est « de mauvaise méthode de vouloir mettre le sujet de la fin de vie sur la table en fin de quinquennat« , qu’en pensez-vous alors même que selon un sondage IFOP[2], 93% des Français se disent favorables à une loi autorisant le recours à l’euthanasie ?
Cela fait des décennies que nous sommes promenés sur le sujet. En début de quinquennat, ce n’est pas la priorité. En fin de quinquennat, c’est trop tard. Chaque année qui passe sans cette loi de liberté est une année perdue et condamne des dizaines de milliers de nos concitoyens à mal mourir, engendrant les drames de la fin de vie que rapportent très régulièrement les médias. Aujourd’hui, ce sujet est dans tous les esprits. Avec le nouveau président de l’ADMD, nous agissons pour que ce sujet se retrouve au cœur des questions sociétales de la prochaine élection présidentielle. Certains candidats – Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon, … – se sont déclarés favorables à sa légalisation. D’autres ont indiqué qu’ils passeraient par une consultation citoyenne.
Pouvez-vous nous dire où en est la proposition de loi ouvrant à « un droit à une fin de vie libre et choisie » présentée en avril dernier à l’Assemblée nationale ?
Cette proposition de loi a été bloquée par une poignée de députés réactionnaires, et seul son article 1 a été voté – largement – par l’Assemblée nationale : 240 députés en faveur de la légalisation d’une aide médicale assistée à mourir et seulement 48 contre et 13 abstentions. Aujourd’hui, l’examen de ce texte est à poursuivre. Mais le groupe auquel appartient Olivier Falorni, auteur de cette PPL, n’a plus de temps de discussion et les autres groupes se renvoient la balle pour savoir qui pourrait l’inscrire à l’ordre du jour de l’un de ses temps de parole. Il reste que nous sommes en toute fin de législature et que le temps est compté à présent.
Quelle est la situation dans les autres pays ?
Beaucoup de pays ont discuté et discutent de leur loi sur la fin de vie (l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Autriche, l’Allemagne, l’Angleterre et l’Écosse, l’Australie, la Nouvelle-Zélande…) et tous s’acheminent vers une légalisation de l’aide active à mourir. Aucun – je dis bien aucun – ne songe à copier la loi française qui est un vrai désastre. Tous s’inspirent de ce qui existe déjà depuis 20 ans aux Pays-Bas ou en Belgique.
Sur le site de l’ADMD, sont évoqués des pays où la législation est bien plus avancée qu’en France : la Belgique, la Suisse, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Espagne, avec la mention suivante « les Pays-Bas et l’Espagne n’accueillent pas de résidents étrangers » ; qu’en est-il pour les Français de l’étranger ?
En général, le critère est celui du lieu de résidence. Un étranger qui réside aux Pays-Bas ou en Espagne, par exemple, pourra bénéficier de la loi. Quelquefois, le critère est l’affiliation au régime de sécurité sociale local. C’est le cas du Canada. La Belgique demande une relation suivie avec la médecine belge, ce qui ouvre beaucoup de possibilités aux frontaliers. Au fond, seule la Suisse, avec 4 des 6 associations qui pratiquent un suicide assisté, acceptent des étrangers qui n’ont aucun lien avec le pays. Mais ces associations sont des associations de professionnels, et il faut donc payer la prestation. Dans ce domaine aussi, il existe des inégalités et des injustices.
Propos recueillis par Florence Baillon
[2] Ifop | Le regard des Français sur la fin de vie
Source : Français du monde N°205
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