Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 27 juillet 2015, en réponse à une question préjudicielle posée par le Conseil d’État, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a remis en cause l’assujettissement aux prélèvements sociaux des revenus du capital de source française perçus par les personnes affiliées au régime de sécurité sociale d’un État européen autre que la France(États membres de l’UE, Islande, Norvège, Liechtenstein, Suisse).
Afin de tirer les conséquences de cet arrêt, dit « de Ruyter », le Gouvernement a notamment mis en place un dispositif de restitution des prélèvements sociaux acquittés à tort entre 2012 et 2015 : contribution sociale généralisée (8,2%), contribution au remboursement de la dette sociale (0,5%), contribution additionnelle de 0,3% [1].
Au cours de l’année écoulée, je n’ai cessé de déplorer le fait que les personnes qui ne résident ni dans un État membre de l’Espace économique européen (EEE) ni en Suisse ne peuvent pas bénéficier du dispositif de remboursement. Afin de généraliser ce dernier à l’ensemble des non-résidents, j’avais présenté, en vain, un amendement lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.
Au nom des principes d’égalité devant les charges publiques et de libre circulation des capitaux, je considère que tous les non-résidents affiliés à la sécurité sociale de leur pays de résidence devraient pouvoir prétendre à la restitution des sommes indûment prélevées par l’administration fiscale.
La présidente de la commission des finances de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE), Laure PALLEZ, a récemment attiré mon attention sur un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Marseille le 25 mars 2016. Je la félicite pour sa vigilance.
Selon la CAA de Marseille, les personnes fiscalement domiciliées en France qui relèvent du régime de sécurité sociale d’un pays tiers ne peuvent se prévaloir des principes dégagés par l’arrêt dit « de Ruyter » pour demander la décharge de prélèvements sociaux.
Toutefois, la juridiction marseillaise considère que la différence de traitement dont font l’objet ces personnes – en l’espèce l’application de deux prélèvements sociaux [2] à une plus-value de cession de valeurs mobilières réalisée en France en 2007 –n’est pas justifiée et constitue une « restriction aux mouvements de capitaux » [3], qui est prohibée par l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Je me réjouis de cette décision, qui me conforte dans mon opinion. Le principe sur lequel elle est fondée – la libre circulation des capitaux entre les États membres de l’UE et les pays tiers – est identique à celui que le Conseil d’État avait invoqué dans une décision du 20 octobre 2014, dont il convient de rappeler qu’elle avait conduit le Gouvernement à placer tous les non-résidents sur un pied d’égalité en matière d’imposition des plus-values immobilières réalisées en France [4].
L’arrêt de la CAA de Marseille fait l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. Si ce dernier confirme l’existence d’une entrave non justifiée à la liberté de circulation des capitaux, les non-résidents affiliés au régime de sécurité sociale d’un pays tiers – actuellement traités différemment des non-résidents entrant dans le champ de l’arrêt dit « de Ruyter » – devraient légitimement pouvoir solliciter, s’ils ne l’ont pas encore fait, la restitution des prélèvements sociaux qui ont été effectués sur leurs revenus du capital de source française (à tout le moins le prélèvement de solidarité de 2% [5], la contribution additionnelle de 0,3% et, très certainement, la CRDS [6]).
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[1] Le prélèvement de solidarité de 2% dû avant le 1er janvier 2015 ne peut pas faire l’objet d’un remboursement au titre de la jurisprudence dite « de Ruyter » car il ne finance pas des branches de la sécurité sociale. Cela a été confirmé par le Conseil d’État dans une décision du 19 juillet 2016.
[2] Le prélèvement de solidarité de 2% et la contribution additionnelle de 0,3%. La CSG, dont la création remonte à 1991, n’est pas concernée car elle est couverte par la « clause de gel », qui permet le maintien des dispositions nationales contraires à la liberté de circulation des capitaux, à condition qu’elles soient antérieures au 31 décembre 1993.
[3] Les contributions sociales « ont pour effet de réduire le taux de rentabilité des investissements mobiliers réalisés en France » par les contribuables affiliés au régime de sécurité sociale d’un pays tiers.
[4] Depuis le 1er janvier 2015, les personnes physiques sont imposées au titre de leurs plus-values immobilières au taux de 19%, et cela quel que soit leur pays de résidence.
[5] Étant donné que les personnes établies dans les pays tiers n’entrent pas dans le champ de l’arrêt dit « de Ruyter », elles seraient logiquement en droit de demander la décharge du prélèvement de solidarité de 2%.
[6] A priori, la CRDS n’est pas couverte par la « clause de gel », dans la mesure où sa création remonte à 1996. Pour ce qui concerne la CSG, la question est plus complexe, les revenus immobiliers des non-résidents n’étant assujettis aux prélèvements sociaux que depuis 2012 (la différence de traitement entre les résidents et les non-résidents n’a donc pas existé de façon ininterrompue depuis le 31 décembre 1993).
Richard Yung, sénateur des Français établis hors de France