La liste des incendies qui embrasent la planète s’allonge… Gigantesques, hors normes, dévastateurs… Ce qui se passe dans plusieurs régions du monde est un phénomène presque sans précédent.
Le scénario catastrophe
Les huit derniers mois auront été particulièrement terribles en matière de catastrophes environnementales. Le seul phénomène des feux de brousse et de forêts aura affecté l’environnement de notre planète dans des proportions jamais atteintes auparavant : Californie, Sibérie, Amazonie, Australie… Des zones éloignées entre elles, aux latitudes et aux climats différents, et pourtant soumises aux mêmes situations critiques, quelles qu’en soient leurs formes : des centaines de foyers simultanés, des phénomènes de méga-feux, ces incendies géants se consumant parfois pendant des mois, des pays dont les cœurs démographiques et économiques sont touchés, des habitations et des structures qui partent en fumée par milliers, une destruction de la biodiversité sans précédent, des conséquences économiques particulièrement fortes.
Ces catastrophes écologiques apportent leur cortège de conséquences dramatiques. La situation en Australie est de l’ordre de la démesure : un hiver austral sans pluies, suivi de six mois d’incendies (depuis fin août 2019), favorisés par une sécheresse exceptionnelle, des vents forts et des températures particulièrement élevées. Un bilan de 32 morts, des populations déplacées, l’état d’urgence décrété, la marine nationale et l’armée de l’air mobilisées pour assurer l’évacuation d’urgence de plus de 100 000 personnes, plus de 100 000 km2 détruits au 25 janvier (une superficie qui dépasse celle de l’Irlande), une érosion irréversible, des fumées toxiques éparses sur des milliers de kilomètres, des rejets de très fortes quantités de CO2 la disparition d’une partie de la faune et de la microfaune et l’augmentation du nombre des espèces en voie de disparition. Selon le WWF, plus d’1,25 milliard d’animaux auraient péri depuis le mois de septembre 2019.
Les conséquences de tels sinistres sont à la fois multiples et durables : leur coût total est estimé par les experts à plus de 3,1 milliards d’€ (Source : Westpac Bank, 13/01/2020). Les activités agricoles seront fortement perturbées après la destruction des cheptels et des récoltes, et des secteurs entiers sont fortement touchés, voire en danger, que ce soit directement par les feux ou sous l’effet des conditions atmosphériques et des suites indirectes des incendies : l’industrie laitière et bovine, la viticulture et l’ostréiculture par exemple, situation qui générera d’importantes hausses des prix.
Ces feux ont aussi des conséquences sanitaires pour l’homme et son environnement, qu’elles soient directes ou indirectes, avérées ou probables. Elles sont liées à la très mauvaise qualité de l’air qui a généré un surcroît de certaines pathologies. D’autre part, il faudra tenir compte des risques que représentent les milliers de tonnes de produits retardant largués pendant plusieurs semaines sur le front des incendies. Par ailleurs, la présence importante de cendres sur les lacs de retenue menace la qualité de l’eau potable dans les grandes villes. D’autres conséquences se font également ressentir, comme la forte augmentation des tarifs des compagnies d’assurance, ou les répercussions négatives sur le tourisme.
Enfin certains experts estiment que les feux australiens ont émis, en trois mois, l’équivalent des deux tiers des émissions annuelles totales de CO2 du pays, et que les forêts pourraient mettre près de 100 ans à absorber les émissions produites.
Ces catastrophes sont-elles l’avant-goût d’un dérèglement plus global à venir ? Sur la planète, la saison des incendies dure déjà toute l’année et des foyers peuvent éclater n’importe où : durant l’été 2018, la Lettonie et la Suède ont même été touchées jusqu’au cercle polaire. Sans des températures hors normes, ou aussi extrêmes dans le cas de l’Australie, les feux ne seraient pas aussi violents. De surcroît, la disparition de la biodiversité favorisera les feux dans les années à venir. Nous ne sommes donc plus en présence de phénomènes naturels avec ces feux géants, et c’est bien le réchauffement climatique qui nourrit ces incendies. Nous ouvrons les yeux aujourd’hui car ils s’approchent des zones urbaines…
Et maintenant ?
Il y aura certainement un « avant » et un « après » des incendies de l’été austral 2019-2020, qui représentent un coup de semonce politique. Les Australiens sont exaspérés par leur gouvernement, qui a tardé à reconnaître les effets du changement climatique, et une prise de conscience climatique est en cours dans ce pays qui reste, en 2019, le premier émetteur de CO2 par habitant parmi les pays de l’OCDE. Selon un sondage publié fin novembre par le Guardian, 60 % des Australiens souhaitent des actes pour lutter contre le réchauffement climatique, dont ils voient aussi les dégâts dans l’archipel voisin d’Indonésie, frappé par des inondations catastrophiques en janvier 2020.
Quelles peuvent être les solutions ? Il faut évidemment lutter contre les causes du réchauffement climatique, d’autant que ce qui se passe en Australie aura lieu dans le bassin méditerranéen ou ailleurs, dans les décennies à venir, si nos sociétés ne fournissent les efforts nécessaires pour suivre les résolutions de l’Accord de Paris sur le climat de 2015. Et nous en sommes bien loin ! Seule une politique de transformation environnementale très engagée, avec une réduction accélérée des émissions de gaz à effet de serre, pourrait entraîner un changement.
Ne faudrait-il pas aussi réfléchir à une autre approche que celle visant à dominer – toujours et presque partout – la nature, à « exploiter » la planète et à « extraire » les ressources ? Ces incendies dramatiques fourniront peut-être, finalement, l’argument ultime pour convaincre les responsables politiques australiens et du monde entier de la nécessité de changer de modèle.
Jean-Philippe Grange, Conseiller consulaire Australie.