À l’occasion de la publication du sixième rapport du GIEC en mars 2023, Français du monde – ADFE a rencontré le paléoclimatologue français Jean Jouzel pour le numéro 209 de son magazine numérique « Français du monde« . Nommé membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en 1994, il a occupé la vice-présidence de l’un des trois groupes de travail au sein de l’institution de 2002 à 2015.
Comment analysez-vous les conclusions du dernier rapport du GIEC ?
JJ : Ce qui se dégage du dernier rapport, c’est la notion de certitude ! Il y a d’une part la certitude de la réalité du réchauffement climatique. Mais ce rapport affirme également de façon certaine que les activités humaines sont à l’origine du réchauffement des continents et des océans.
En quoi cela est-il une avancée majeure par rapport aux précédents rapports ?
JJ : Il apporte la preuve que non seulement le réchauffement climatique est dû aux activités humaines, mais que l’ensemble de ce dérèglement, qui représente un peu plus de 1 degré celsius depuis le début du XXe siècle, lui est attribuable.
Quels sont les impacts engendrés par une hausse de 1° celsius ?
JJ : Cette hausse de la température moyenne accélère l’augmentation du niveau de la mer, qui atteint trois à quatre millimètres chaque année. C’est deux fois plus rapide qu’il y a cinquante ans. Elle s’accompagne également d’une intensification des événements extrêmes.
C’est bien l’autre point marquant de ce rapport : il montre que ce que nous prédisons depuis cinquante ans, sur le rythme de réchauffement, l’accélération de l’élévation du niveau de la mer et l’intensification des évènements extrêmes, nous le vivons aujourd’hui.
Et donc, le fait que la communauté des chercheurs et des climatologues a correctement envisagé l’évolution du climat au cours des 50 dernières années doit nous inciter à accorder davantage de crédibilité à leur travaux.
D’ailleurs, quelles conséquences le réchauffement climatique a-t-il sur les populations et notre quotidien ?
JJ : Le réchauffement climatique agit sur les écosystèmes dans lequel vivent les populations. On estime que la moitié de la population mondiale est directement impactée par le réchauffement climatique, avec des maladies et décès précoces.
Ensuite, il ne faut pas oublier les conséquences sociales : déplacements de populations et risque d’accroissement des inégalités. Car ce sont les plus pauvres qui sont les premières victimes du réchauffement climatique et qui peuvent le moins y faire face.
Justement, comment appréhender ces impacts ?
JJ : Le deuxième groupe de travail du GIEC se penche justement
sur l’adaptation des populations au réchauffement climatique. Le rapport spécial 1,5°C publié en 2018 indique clairement qu’il serait plus facile pour les jeunes d’aujourd’hui de s’adapter aux changements climatiques, si le réchauffement planétaire était limité à 1,5° Celsius plutôt qu’à 2 degrés.
Peut-on définir un calendrier de l’urgence climatique et de son impact à moyen et à long-terme ?
JJ : Le réchauffement climatique est pratiquement joué pour
les deux prochaines décennies. En revanche, les décisions
prises aujourd’hui joueront un très grand rôle sur le climat de la deuxième partie du 21e siècle. Les gens ne comprennent pas toujours l’urgence d’agir ! Or, agir maintenant ne signifie pas avoir un impact sur les dix prochaines années mais sur ce qui va se jouer
dans une cinquantaine d’années. Et c’est là le message clef qu’il faut retenir et qui n’est pas toujours très bien présenté. Le
réchauffement est assez limité et nous pouvons aujourd’hui nous adapter. Mais ce que l’on met aujourd’hui dans l’atmosphère décidera du climat de l’après 2050.
Quels sont alors les solutions privilégiées par le GIEC ?
JJ : Il faut privilégier le développement des énergies non émettrices de CO2 – renouvelables en premier lieu, nucléaire dans les pays qui en font le choix – pour sortir le plus rapidement possible des énergies fossiles. Il faut cesser la déforestation massive. Des mesures simples existent pour réduire les émissions de CO2 comme la réduction de la vitesse sur les autoroutes ou la baisse de la production de véhicules lourds.
La volonté politique suffira-t-elle à enclencher les actions nécessaires visant à lutter contre le réchauffement climatique ?
JJ : La volonté politique, elle est souvent dans les textes – notamment en France où la neutralité carbone à l’horizon 2050 est inscrite dans la loi – qui s’appuient très clairement sur les rapports du GIEC. Toutefois, un fossé demeure entre les objectifs affichés et la réalité. À l’échelle planétaire, nous avons deux fois trop d’émissions par rapport à ce qu’il faudrait à l’horizon 2030. Au-delà des mesures concrètes, il y a tout un travail auprès des collectivités locales, auprès des entreprises et le rôle de chaque citoyen est également indispensable.
Tout est important, le système éducatif, les médias, les citoyens, les ONG et les politiques. Il faut agir dans toutes les directions pour avoir une chance d’être audibles et efficaces.
Propos recueillis par Vanessa Gondouin-Haustein (Pays-Bas)
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