Quarante ans déjà ! La nouvelle tombait du coup d’Etat militaire au Chili. Aussitôt montait dans le monde une vague immense de stupeur et d’émotion à l’annonce de la mort tragique d’Allende dans le palais présidentiel bombardé par l’armée de l’air. Venaient peu après des informations d’abord fragmentaires, mais de plus en plus précises sur la répression féroce, ses exécutions sommaires, ses disparitions, ses internements massifs. Le Président Pompidou, le gouvernement, allaient alors dans le sens d’une opinion unanime en décidant d’approuver les initiatives de l’ambassade de France qui, sans instructions de Paris puisque les communications avec l’extérieur étaient coupées, avait commencé à accueillir des persécutés politiques. Près de huit cents Chiliens allaient ainsi transiter durant quatre ou cinq mois par l’ambassade avant de partir vers la France munis de sauf-conduits. Des milliers d’autres allaient gagner par d’autres voies notre pays, beaucoup en passant par l’Argentine. Pas de restrictions alors à l’accueil sur notre sol, la France se montrait généreuse. Elle allait être récompensée par l’excellente intégration des réfugiés chiliens. Et puis il y avait les Français du Chili, parfois venus pour participer à l’expérience de l’Unité populaire, parfois tout simplement Franco-chiliens, qui payaient aussi un lourd tribut à la répression. L’ambassade de France s’employait à protéger puis à exfiltrer ceux qui avaient échappé aux massacres des premiers jours. Passé le paroxysme de la répression, le Chili s’est ensuite enfoncé dans de mornes années de dictature, dont il n’allait émerger qu’en 1989. L’on n’a pas fini d’analyser ces évènements dramatiques, avec la part d’erreurs des forces de gauche trop souvent divisées, la radiographie du coup d’Etat où apparaît l’ombre de la CIA, le choix par la dictature d’une politique économique brutalement néo-libérale qui allait écraser les couches populaires, jugée évidemment coupables de tous les malheurs du Chili. Pour ce qui concerne notre pays, il reste au moins une certitude : devant ce drame, la population française a réagi comme il se devait, et la diplomatie française, elle aussi, a bien fait son devoir. Pierre de Menthon, l’ambassadeur de l’époque, ainsi que sa femme Françoise, restent dans la mémoire des réfugiés passés par l’ambassade, et dans celle de l’ensemble du personnel du poste, comme deux figures lumineuses et protectrices, faisant tout pour soulager les malheurs qui les entouraient.
François Nicoullaud