Dans le dernier numéro de Français du monde (n°212), la sénatrice Hélène Conway-Mouret analyse les relations entre la France et l’Afrique. Face aux mutations politiques et économiques du continent, elle plaide pour une coopération renforcée, basée sur l’écoute et des partenariats durables.
Au sein de la circonscription planétaire que je représente et dans l’exercice de mon mandat, le continent africain occupe depuis toujours une place particulière.
D’abord, il est le troisième continent de destination des Français de l’étranger après l’Europe et l’Amérique du Nord, dont plus de 117 000 sont établis en Afrique francophone et 109 000 en Afrique du Nord. La part importante de binationaux, dont deux tiers sont installés au Maghreb et la moitié en Afrique francophone, explique en partie que le lien affectif qui unit nos peuples se maintienne au fil des décennies, au-delà des turbulences politiques. Ensuite, ce continent, que nous pensons connaître, est en fait déroutant par sa complexité et par son évolution stupéfiante. Il faut se rendre de manière assidue dans les différents pays pour saisir les clefs de compréhension d’un territoire hautement stratégique qui a vu naître les premiers hommes et qui porte en son sein l’avenir de l’humanité. Dans cet espace de compétition, la Russie s’implante dans les champs sécuritaire, économique et d’influence, la Chine tisse ses routes de la soie et déploie sa politique de la dette, quand la Turquie – se rêvant puissance régionale – entend étendre son influence économique, religieuse et culturelle. La France, qui ne semble pas avoir saisi les mutations profondes et structurelles qui traversent les sociétés africaines, est progressivement poussée vers la sortie, notamment dans le domaine militaire.
Face à l’absence de perspectives dans leur pays, les jeunes, majoritaires dans tout le continent puisque les moins de 30 ans représentent 60% de la population, se retrouvent forcés à partir. Ils se déracinent de leur terre, quittent leur famille et prennent tous les risques pour poursuivre ce but, que beaucoup – perdus dans les abîmes de la Méditerranée – n’atteindront jamais. Cette migration vide le continent d’une de ses principales ressources, la ressource humaine, et cet exode s’accentuera malheureusement avec le changement climatique.
Pourtant, le continent africain possède tous les atouts pour se développer de manière durable. Il représente près de 18% de la population mondiale, détient un quart des terres arables et un tiers des réserves minérales, regorge de sources énergétiques (gaz, pétrole, charbon, bassins hydrauliques en Afrique centrale, rayonnement solaire dans le Sahel, capacités géothermiques en Afrique de l’est etc.), possède de gigantesques forêts et un haut potentiel d’irrigation. Il pourrait être le grenier du monde, acquérir son autosuffisance alimentaire et énergétique et sortir de la dépendance vis-à-vis des pays tiers. En dépit de ces richesses illimitées, 40% de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté (soit avec moins de 2 dollars par jour). Les crises politiques et les coups d’État à répétition ne sont que les symptômes d’une colère à la fois face à la corruption des élites et à l’accaparement des ressources par des puissances étrangères qui empêchent l’essor économique. Les opinions publiques, de plus en plus connectées au monde, ont une forte conscience de ce que devraient être leurs droits et de ce dont ils sont privés.
L’industrialisation, la transformation des matières premières et la promotion des filières industrielles et agricoles nécessitent des investissements massifs. La France devrait être en mesure d’accompagner la transformation des pays qui l’auront choisie, non pas du fait d’une place qu’elle pense privilégiée car héritée d’un passé commun mais révolu, mais en prouvant qu’elle peut être un partenaire fiable pour les décennies à venir.
L’espace francophone, au sein duquel nous partageons une langue et l’expression d’une vision du monde, est un terrain fertile pour nouer et renforcer ces partenariats.
Mais il est aujourd’hui crucial de repenser notre approche de cette francophonie, non plus seulement comme un espace essentiellement linguistique et culturel, mais également comme un puissant espace économique et comme un bien commun, à l’instar du Commonwealth. Dès 2014, dans son rapport au Président de la République, Jacques Attali démontrait le potentiel économique de la francophonie en soulignant que « des pays partageant des liens linguistiques tendent à échanger environ 65% plus que s’ils n’en avaient pas ».
Il est néanmoins évident que sans réels débouchés, la francophonie ne saurait satisfaire les aspirations des millions de jeunes africains qui se tournent de plus en plus vers nos concurrents anglophones, perçus comme offrant de meilleures perspectives. Le français, qui est déjà la langue officielle ou d’usage dans 21 pays d’Afrique, devrait être parlé par 90% de la jeunesse en 2050. Mais ne nous y trompons pas : sa maîtrise perdra inexorablement de son attrait si nous refusons à ses locuteurs d’obtenir un visa pour se rendre en France afin d’y visiter leurs proches, poursuivre leurs études supérieures ou exercer un emploi. C’est en facilitant les déplacements des jeunes étudiants et travailleurs que nous leur donnerons envie de France. À leur retour, ils demeureront attachés à l’Hexagone et mettront les compétences qu’ils ont acquises au service de l’économie locale. C’est alors un cercle vertueux qui se crée, puisque la mobilité s’accroît avec le développement et le développement favorise la mobilité.
L’alphabétisation, et plus globalement l’accès à l’éducation et à la formation, sont donc des conditions sine qua non d’un développement durable.
C’est par exemple dans la lutte contre l’illettrisme, en particulier des filles et des femmes, que la France pourrait apporter un concours utile. L’alphabétisation renforce leur liberté et leur autonomie, favorise leur indépendance financière et leur permet de participer pleinement à la vie économique de leur pays. Elle profite non seulement à la sphère familiale – puisqu’un enfant dont la mère sait lire a 50% de chances supplémentaires de survivre après l’âge de cinq ans – mais à la société toute entière en augmentant le revenu par habitant.
En conclusion, la France a bel et bien un rôle un jouer, pour autant qu’elle endosse celui qui lui sera confié par ses interlocuteurs qui aspirent à relever les multiples défis qui s’imposent à eux.
Nous observons certes un mouvement de rejet de la politique française, mais pas de la France elle-même. Pour beaucoup – je peux en témoigner – elle demeure la promesse de jours meilleurs. Nous devons nous montrer à la hauteur de ces espoirs et de cette confiance en étant à l’écoute des attentes de nos partenaires tout en faisant preuve d’humilité. Nous devons enfin faire montre de constance dans la promotion de nos valeurs – pour lesquelles nous sommes appréciés – et dans notre engagement pour des réalisations concrètes dont nos partenaires ont réellement besoin.
L’illustration de cet article montre la Sénatrice Hélène-Conway-Mouret en République Démocratique du Congo en juillet 2024, aux côtés de la Première ministre Judith Siminwa Tuluka.
Cet article est extrait du 212e numéro de Français du Monde : « Sport & Diplomatie », disponible gratuitement dans la rubrique « Magazine » du site Internet.