Depuis plus d’un an, des habitants de Tokyo s’opposent à l’abattage d’un millier d’arbres prévu dans le cadre d’un projet de réaménagement à l’utilité contestée. Un mouvement citoyen original et porteur d’espoirs, auquel la section locale de Français du monde – ADFE s’est associée.
L’Écologie au Japon : entre gestes exemplaires et indifférence apparente
Parfois montrée en exemple pour ses gestes éco-responsables, tels que le tri sélectif de ses déchets ménagers, la population japonaise ne donne pourtant pas, au quotidien, l’impression d’être particulièrement consciente des grands enjeux écologiques et environnementaux. Jusqu’à récemment, la majorité des déchets plastiques si minutieusement triés étaient finissaient incinérés ou envoyés vers des pays tiers. Quant au suremballage qui fait toujours rage, il ne semble pas perturber beaucoup les consommateurs nippons. Dans un autre domaine, le rejet dans l’océan de un peu plus d’un million de tonnes d’eau contaminée suite à l’accident nucléaire de Fukushima n’a suscité la protestation que des syndicats de pêcheurs. Le plus frappant est peut-être la quasiment absence au sein de la société japonaise des grands enjeux liés au dérèglement climatique. Non pas qu’il ne soit jamais évoqué, mais aucune priorité ne lui est réellement accordée. Pourquoi une telle indifférence apparente ? Certainement parce que les catastrophes naturelles occupent depuis toujours une place centrale dans la culture japonaise. Les risques constants de séismes, de tsunamis et de typhons masquent des phénomènes nouveaux et plus progressifs… pas nécessairement liés à la crise climatique. Ainsi, la principale cause de la montée relative des eaux à Tokyo n’est pas l’élévation des océans, mais l’affaissement progressif de terrains sur la mer.
Mouvement citoyen
Dans ce contexte, le mouvement citoyen pour sauver les arbres du quartier de Jingu Gaien est particulièrement novateur et prometteur. Né début 2022, après l’adoption d’un projet immobilier prévoyant l’abattage de nombreux arbres dans un espace vert accessible à tous au centre de Tokyo, cette initiative reste active depuis ses débuts, et les arbres sont toujours debout ! Partageant les mêmes valeurs, la section locale de Français du monde – ADFE a décidé de se joindre à cette initiative.
Ouvert en 1926, le complexe de Jingu Gaien s’étend sur 300 000 m2 et comprend des bâtiments historiques, des installations sportives (notamment des stades de baseball et de rugby parmi les plus anciens du Japon) et de très nombreux arbres d’essences diverses. Parmi eux, la rangée majestueuse de ginkgo biloba centenaires. Or, le projet de réaménagement initié par la mairie de Tokyo prévoyait, entre autres, la démolition complète des installations sportives existantes et l’implantation de nouvelles constructions immobilières nécessitant notamment l’abattage immédiat d’au moins un millier d’arbres et la disparition à terme de plusieurs milliers d’autres.
Défendre l’héritage commun face aux intérêts économiques et politiques
Depuis 2022 la mobilisation a pris diverses formes : campagnes de hashtags sur les réseaux sociaux, rassemblements devant la mairie de Tokyo, chaînes humaines autour des arbres voués à être abattus, veillée musicale sur place ou encore colloques et interviews. Les mouvements de quartier qui s’opposent à des projets immobiliers ou à l’abattage d’arbres ne sont pas rares au Japon. Mais généralement, ce sont des mobilisations de voisinage centrées sur des intérêts locaux, tels que « NIMBY» autrement dit « pas dans mon arrière-cour ». Ils ont souvent plus de chance de réussir s’ils obtiennent l’approbation et l’aide de notables locaux également concernés. À l’opposé, le mouvement de défense des arbres de Jingu Gaien défend un lieu et un patrimoine communs à tous les Tokyoïtes, sans craindre de s’opposer à de puissants intérêts économiques et politiques.
En demandant que le projet d’aménagement soit revu pour préserver les arbres et en donnant la priorité à la rénovation plutôt qu’à la reconstruction, le mouvement de défense des arbres de Jingu Gaien est porteur de trois messages forts :
- un message de démocratie face à un projet d’aménagement urbain décidé en catimini par la mairie de Tokyo sans concertation avec la population.
- un message d’émancipation et de liberté : on peut s’opposer aux décisions des grands groupes privés de l’immobilier et du commerce et du parti au pouvoir (PLD).
- un message écologique enfin : alors même que le rôle modérateur des espaces arborés sur la hausse des températures urbaines est bien connu, Tokyo n’est que 37e sur 40 grandes villes du monde pour ce qui est des espaces verts publics (World Cities Culture Forum), et elle a perdu 2 % de sa couverture arborée entre 2000 et 2021, soit l’équivalent de 566 kilotonnes d’émissions de dioxyde de carbone (Global Forest Watch).
Ces valeurs, Français du monde – ADFE les partage. Et en soutenant ce mouvement local citoyen, la section de Français du monde – ADFE à Tokyo espère contribuer à les faire vivre concrètement, ici et maintenant.
Le mouvement pour la défense des arbres de Jingu Gaien s’est articulé autour de trois pôles : le pôle « sportif », qui conteste l’utilité de détruire les stades actuels ; le pôle « musical », regroupant les amis et les fans du musicien Sakamoto Ryuichi, qui a pris la défense des arbres de Jingu Gaien dans sa dernière prise de position publique peu avant son décès à la fin de mars 2023 ; et enfin, le pôle « citoyen », qui s’est notamment cristallisé autour d’une résidente américaine très active sur les réseaux sociaux. Sa pétition multilingue a réuni près de 200 000 signatures.
Cet article est extrait du 210e numéro de Français du Monde : « Jeunesse Française et du Monde, un pont générationnel et culturel », disponible gratuitement dans la rubrique « Magazine » du site Internet.