En excellent pédagogue qu’il était, Jacques Perez considérait qu’il n’y avait pas de «mauvaises photos» mais de «moins bonnes photos».
Né il y a 90 ans en Tunisie, il racontait à ses interlocuteurs, depuis son bureau niché dans sa maison de la Hafsia, quartier des commerçants de la fripe, ses souvenirs d’enfance et le roman familial : comment il devint photographe au sein de cette famille avec la grand-mère paternelle livournaise, sa mère allemande, artiste amoureuse d’un commerçant juif séducteur « touensa » de Kairouan et une ribambelle de demi-frères. A 15 ans son père lui offre son premier appareil, un Photax. Il grandit comme un européen de l’époque, dans un environnement multiculturel et multilingue et suivit des études au Collège Technique Émile Loubet, où il enseignera par la suite les techniques graphiques.
«J’aimerais publier un livre sur les deux dimensions de Tunis, l’orientale et l’occidentale» fut son premier projet et abouti au célèbre livre Éloges de Sidi Bou Saïd, qui sera publié en 1975 et est devenu introuvable aujourd’hui.
Il rencontrera entre autres Max-Pol Fouchet, Man Ray, Jean Cocteau, Henri Langlois :
« …une photo est une photo, sans distinction aucune par rapport à sa finalité. Il faut la réussir le mieux possible, qu’elle soit une commande ou une intuition profonde. Il s’agit du même flux. De la même exigence…La photo, quelque part, il faut l’arracher. Tu l’imagines. Elle naît d’une démarche intellectuelle…La photo demande toutefois une part de spontanéité. Le photographe ne crée pas, il regarde et il transmet ».
L’exposition La Tunisie de Jacques Pérez, organisée à Paris en 1994, dans le cadre du Mois de la Photo, fut un moment fort dans sa carrière. Elle circulera dans plusieurs villes de France. En 1997, sur la principale artère de Tunis, une exposition de photos expressionnistes en noir et blanc – visages, portraits, expressions prises au vol, dont La dame au lion – suscitera un immense intérêt de la part d’un public populaire étonné de se reconnaître.
Celui que Frédéric Mitterrand surnommait «le Doisneau tunisien », affirmait :
« Pour moi, l’humain incarne un mystère, que j’ai envie de découvrir. Mais qui peut-être n’existe pas. Je trouve que le regard d’une personne décrit parfaitement son caractère et même sa façon de vivre. Cela m’a toujours fasciné. Ce qui m’attire quelque part chez les hommes et les femmes dont je tire le portrait, c’est l’idée que la personne m’attend. Comme pour la photo de la fameuse vieille dame au visage très ridé de Chebika. Sans un mot entre nous, je me suis rapproché d’elle, elle m’a fait un signe d’acquiescement et elle a posé sa main sur sa joue d’une façon très élégante. Elle prenait en fait la pose et consentait que je la prenne en photo. Parfois le plus important c’est de voir en s’abstenant d’éterniser le moment par des clichés. »
Il a inspiré des générations de photographes tunisiens :
« Je n’ai pas la prétention de faire école. Mais peut-être, que certaines de mes photos, devenues des icônes qui m’échappent, ont suscité des vocations. J’ai reçu chez moi de jeunes photographes, avec qui j’ai longuement échangé. Car la photo ça se discute aussi ».
Tunisien de naissance, devenu Français en 2013, Jacques Perez était membre de la section de Tunisie de l’association.
Martine Vautrin-Djedidi,
membre du Conseil d’administration
Tunisie
Les citations sont tirées de l’entretien de Jacques Perez avec Olfa Belhassine