Un échec sur le plan climatique, sur le plan de la solidarité internationale, un échec diplomatique pour l’Europe et pour la France. Mais elle a aussi été le moment d’un édifiant renversement des rôles, entre les supposés tenants de la sagesse et ceux de l’excès, entre une classe dirigeante devenue totalement irresponsable, religieusement aveuglée par le mythe de la croissance et une jeunesse réaliste, rationnelle et consciencieuse, qui se prépare à changer le monde. Et c’est dans ce renversement que se situe l’espoir.
Un échec d’abord. Après une année climatique terrible, marquée par des phénomènes météorologiques extrêmes qui ont fait des centaines de morts et qui menacent des millions de personnes, on pouvait attendre des gouvernements qu’ils parviennent à un accord permettant de rester en-deçà de 1,5°C de réchauffement climatique. Pas par courage, pas par vision ou par sens du respect des engagements. Simplement par réalisme. Parce que c’est là l’unique chance de survie des populations qu’ils gouvernent et que manquer à ce devoir n’est plus irresponsable, cynique ou indécent, c’est réellement devenu criminel. Pourtant, ce n’est pas ce qu’il s’est passé à Glasgow.
Alors que pour respecter l’Accord de Paris, il faut réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 45% d’ici à 2030, les Etats envisagent de facto de les augmenter de 14% sur la période. On peut le tourner dans tous les sens : les 15 jours de négociations ont donc débouché sur des engagements qui, à supposer qu’ils soient tenus, conduiront à un réchauffement climatique de 2,7°C ou plus. C’est-à-dire une situation ingérable qui met en danger la vie de millions de personnes. Glasgow est donc factuellement un échec climatique cuisant.
C’est aussi un échec indécent de la solidarité internationale. Les pays riches, émetteurs historiques du CO2 responsable du réchauffement climatique, n’ont pas tenu leur promesse de 2009 de mobiliser 100 milliards de dollars annuels pour aider les pays du Sud. Et ce, alors que les pays du Sud sont en première ligne de la crise climatique, alors qu’un million de personnes sont menacées de mourir de faim dans le sud de Madagascar en raison de la sécheresse.
L’échec de la COP 26 a enfin été un échec diplomatique européen et français. Pour la première fois, l’Union européenne s’est publiquement divisée. La France, force motrice d’une coalition contre nature avec la Pologne du charbon afin que le nucléaire et le gaz soient définis comme des énergies « vertes », a provoqué une contre-offensive, menée par l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, le Luxembourg et le Portugal pour s’opposer publiquement à ce projet.
Bien sûr, on m’opposera, comme à tous les écologistes, que certaines bribes de l’accord demeurent positives et qu’il y a, malgré tout, quelques avancées que nous pourrions saluer.
Ce serait le cas de cette mention inédite des énergies fossiles dans l’accord final. En réalité, le texte a été tellement édulcoré qu’il est vidé de tout intérêt. Alors que les termes initiaux appelaient à la « disparition progressive » du charbon, l’accord n’appelle plus qu’à « intensifier les efforts vers sa diminution progressive ». Cela fait 10 ans que je négocie des textes de lois. Je connais très bien la différence entre un objectif, même lointain, et l’engagement à intensifier ses efforts pour atteindre un objectif. La différence, c’est que l’objectif n’existe plus.
Ce serait encore le cas pour l’inscription d’un objectif pour le financement de l’adaptation au changement climatique. Mais ce dernier est bien trop bas pour permettre aux pays les plus vulnérables de faire face aux risques et la majeure partie des fonds demeurera issue de prêts et non de dons, aggravant encore davantage la dette de ces pays.
On le voit bien, ces maigres « avancées » ne sont rien face à l’indigne échec d’un processus qui devait permettre de protéger les conditions de la vie humaine sur Terre. Ce ne sont pas les écologistes qui sont difficiles ou ingrats. C’est le climat et le vivant qui ne peuvent pas négocier. La crise climatique met l’ensemble des responsables politiques face à une situation inédite qui, par définition, est sans appel. On ne peut pas mentir. On est à la hauteur ou on ne l’est pas. Et jusqu’ici, on ne l’est pas.
Alors tout est-il perdu ? Je ne le crois pas. L’Accord de Paris, en dessinant un objectif mais pas de moyens contraignants pour l’atteindre, a placé les citoyen·nes et la société civile au cœur de la question climatique. C’est au fond, à elles et à eux, par leur mobilisation, qu’il revient de sauver le monde. Et je pense qu’ils et elles vont le faire.
La génération climat a douloureusement découvert ce que les écologistes savent depuis longtemps : avoir raison ne suffit pas. Le devoir, la rationalité, l’urgence peuvent malheureusement ne rien changer à l’aveuglement de dirigeants paresseux. Le renversement moral des rôles entre les responsables et les inconscients doit donc désormais se traduire par un renversement du pouvoir.
Pour être à la hauteur de l’enjeu civilisationnel du siècle qui s’ouvre, pour transformer radicalement le modèle de société qu’une classe politique négligente protège et qui est en train de nous détruire, il faut remplacer les dirigeant·es.
L’alliance de la jeunesse, des scientifiques, de la société civile, peut répondre à ce défi : porter au pouvoir des responsables politiques pour qui le climat n’est pas une contrainte politique ou un argument électoral, mais notre plus grand devoir.
Mélanie Vogel,
Sénatrice représentant les Français établis hors de France
Source : Français du monde N°205