David Michel, adhérent de Français du monde-adfe, est né en France d’une mère française et d’un père australien. À l’adolescence, il suit sa famille aux États-Unis. Il vient d’être largement réélu représentant démocrate (l’équivalent du député) au Parlement de l’Assemblée générale du Connecticut. A ce titre, il est également membre des Comités de l’environnement, de la santé publique, de la planification et du développement. Il y a créé une Commission sur les énergies renouvelables et les normes environnementales.
Vous êtes franco-américain, pouvez-vous raconter votre binationalité ? D’où elle vient et comment vous la concevez ?
Né à Nevers en 1974 (génération X), j’ai quitté la France à l’âge de 14 ans pour les États-Unis, plus précisément pour la région de New York. C’était la fin des années 80 : New York était en pleine transformation et George W.H. Bush (le père) allait être élu. Ed Koch, réélu maire de New York à trois reprises de 1978 à 1989, devenu le nouvel « establishment » démocrate, allait perdre son titre au profit de David Dinkins, premier maire afro-américain de la ville.
De mon côté, je terminais mes études secondaires au Lycée francais de New York. Arrivé de France avec les valeurs socialistes de l’époque, je me suis fait à la culture américaine très rapidement. D’ailleurs, je me considère peut-être plus américain que français, mais c’est toujours un peu conflictuel pour moi car je pense avoir gardé les valeurs de mon éducation française, tout en y associant ma culture américaine.
Vous venez d’être réélu représentant démocrate à l’Assemblée générale du Connecticut, pouvez-vous expliquer ce que cela signifie pour vous ?
J’ai un passé militant d’activiste et de défenseur de la justice sociale et environnementale, et je n’avais jamais imaginé me présenter ; j’y ai été poussé et encouragé par ceux qui soutenaient et soutiennent encore mon militantisme local, il y a quelques années. L’une de mes premières victoires politiques est d’avoir participé à la création d’un groupe de réformes locales, pour éliminer la corruption de la mairie de Stamford entre autres. Nous avons gagné 8 sièges sur 40 au Conseil municipal, ce qui a porté ses fruits et a permis de changer un peu la direction que prenait notre ville forte de plus de 130 000 habitants.
Mon titre de représentant veut tout dire : mon travail consiste à écouter la population et à la représenter le plus honnêtement possible. Il s’agit aussi de ramener le Parti démocrate vers des valeurs de représentation et de protection du peuple et des propositions pour l’éducation, l’environnement et bien sûr la justice sociale.
L’Assemblée générale du Connecticut se compose de la Chambre des Représentants du Connecticut (chambre basse) avec 151 élus dont 96 démocrates et du Sénat du Connecticut avec 36 sénateurs dont 22 démocrates. Elles sont toutes les deux présidées par des élus démocrates.
Comme député, quel est votre rôle et votre influence sur la vie politique du pays ?
Chaque État dispose de son propre congrès, donc mon rôle et mon influence se situent d’abord au niveau régional. Ceci dit, mon groupe de réformes ainsi que ceux qui me soutiennent, pensons que la vraie manière de changer Washington est de partir du bas de l’échelle. Les comités municipaux des deux partis majeurs (républicains et démocrates) contrôlent les investitures des candidats et ont tendance à éliminer les velléités d’élections primaires. Si on peut transformer les pratiques de manière efficace au niveau municipal, on peut influencer ce qui se passe au niveau de l’État et ainsi de suite avec potentiellement la chance de pouvoir améliorer la représentation des États à Washington.
Evidemment, il s’agit d’une action parallèle, ma première fonction est d’écouter mes concitoyens et de les servir du mieux, encore une fois en favorisant les réformes au niveau de l’État, de la santé publique, de l’exercice électoral, de la protection environnementale, et comme tout est lié, de la justice sociale.
Selon vous, quels phénomènes nouveaux sont apparus à l’occasion de la campagne électorale qui vient de s’achever aux États-Unis ?
On peut analyser ces élections de plusieurs manières mais je pense qu’il est important de mentionner le ras-le-bol du côté progressiste des Démocrates, qui sont marginalisés par l’establishment de leur propre parti. L’establishment démocrate étant composé d’un personnel politique modéré et corporatiste, les valeurs et les protections sociales ont régressé, ce qui a entraîné la perte continuelle du soutien de la classe populaire, des minorités et communautés les plus vulnérables, qui constituent aujourd’hui la majorité des Américains.
Ce mouvement a parlé et a aidé à éliminer Trump, sans être pour autant très supporteur de Biden ou de son entourage présidentiel éventuel. Demeure également la question du Sénat : en effet, si le Sénat passe de 48 Démocrates et 50 Républicains à une égalité 50/50, cela donnera le pouvoir à la vice-présidente « élue » qui pourra trancher sur les projets de lois qui y seront présentés.
La victoire de Joe Biden permet-elle d’espérer une inclinaison progressiste à venir aux Etats-Unis, notamment dans les domaines de la lutte contre le racisme, la justice sociale et la protection de l’environnement ?
Cela reste à voir. Il n’y a pas ce sentiment de renouveau chez les élus car les Démocrates sont toujours en grande majorité liés à l’establishment et trop modérés, ce qui les situe sur l’échelle politique entre le centre-droit et la droite. Le parti démocrate s’est quand même bien déplacé vers la droite, raison pour laquelle les progressistes demandent de grands changements. Si ceux-ci ne se produisent pas, le parti va très certainement continuer à s’affaiblir, sans répondre de manière forte aux besoins du peuple et de la classe ouvrière.
La justice raciale, environnementale et sociale viendra de manière effective des progressistes et libéraux du Parti démocrate et non pas des corporatistes qui ne sont finalement pas si éloignés des valeurs du Parti républicain. La santé publique est d’ailleurs le sujet numéro un concernant les besoins de la population et le camp démocrate est divisé sur le tiers-payant par exemple.
Pour en revenir à ma réponse à la première question, il est urgent de secouer l’establishment démocrate actuel, comme Ed Koch l’avait fait à New York en son temps, et surtout de ne pas retomber dans le cercle vicieux qui consiste à en créer un nouveau.
Je mets beaucoup d’espoir en nos réussites, malgré la rhétorique de peur lancée par les corporatistes contre le socialisme. La protection des valeurs sociales et le respect en tant qu’élus des besoins du peuple, font bel et bien partie de la solution pour lutter contre cette montée planétaire du fascisme, ainsi que les problèmes de longue date de discrimination raciale et de manque de protection de l’environnement et de la santé publique. Lutter en leur faveur nous permettra de survivre sur notre planète bleue.
Propos recueillis par Florence Baillon
Photo : Bernie Weiss