L’Ange du patriarche – Kettly Mars
Editions Mercure De France
http://www.mercuredefrance.fr/livre-L_Ange_du_patriarche-9782715246959-1-1-0-1.html
L’Ange du patriarche est un roman dérangeant, largement inspiré d’une tradition vaudou encore vivace, mettant en scène des femmes libres. Sous les traits d’Emanuela, de Vanika ou encore de Paula, trois générations de femmes haïtiennes tentent d’échapper à une dramaturgie familiale sombre et implacable. Avec force et amour, toujours combatives, ces héroïnes modernes, s’émancipent et se réinventent, incarnant l’essence d’une résilience toute haïtienne. Une œuvre entre réalité et conte, matinée de mysticisme, ou les anges et les démons s’affrontent. Une plongée suffocante et haletante des bas-quartiers de Port-au-Prince aux quartiers huppés de Philadelphie, entre passé et présent. Kettly Mars rend hommage aux femmes, aux mères, aux filles, ces figures fondamentales de la société haïtienne.
Kettly Mars : « Je suis une femme forte »
L’écrivaine haïtienne Kettly Mars n’est pas très anniversaire, mais pour ce 8 mars, journée internationale des femmes, elle a voulu célébrer les femmes qui l’inspirent. A Paris, pour présenter son dernier roman L’Ange du patriarche (paru aux éditions Mercure de France), elle nous a parlé d’Haïti, de création, de vaudou et surtout des femmes.
Dans votre dernier roman L’Ange du patriarche vous donnez la part belle aux femmes, avez-vous voulu mettre à l’honneur ces femmes libres ?
Absolument. C’est un constat fait par mes lecteurs et mes critiques : les femmes sont très fortes dans mon œuvre, je pense que c’est parce que je suis, moi aussi, une femme forte. J’aime être dans cet univers de femmes qui se prennent en main, qui prennent la vie à bras le corps. Ça encourage les jeunes femmes de savoir que malgré les contraintes, malgré les entraves sociales, culturelles, il y a toujours moyen de se prendre en main, d’être accomplies. C’est ce que je dis aux jeunes filles quand je les rencontre dans les écoles : croyez-en vous-mêmes, vous avez du potentiel, c’est seulement vous qui pouvez-vous mettre des limites. Dans mon dernier roman, je mets en avant trois femmes qui sont des prototypes de femmes que j’aimerais voir dans cette société haïtienne. Des générations de femmes qui fusionnent dans une synergie, car il faut s’entraider, il faut être ensemble.
Quel regard vous portez sur la création haïtienne littéraire comme artistique ? Les femmes sont-elles à la manœuvre ?
Je suis heureuse de voir que, de plus en plus, les femmes envahissent les avenues de la création. Ce n’est pas nouveau, nous avons eu de grandes femmes artistes, je pense à Toto Bissainthe, je pense à Emerantes de Pradines qui vient de nous laisser à plus de cent ans. Une femme qui de son temps était un phénomène : elle était d’une classe sociale qui généralement ne s’impliquait pas dans la vie artistique publique, elle a embrassé la culture populaire haïtienne ce qui ne se faisait pas de son temps ni dans son milieu. On a eu des écrivaines haïtiennes comme Marie Vieux-Chauvet qui est mon icône et tellement d’autres. Mais elles étaient comme éclatées, éparpillées. Aujourd’hui il y a une montée en douceur mais ferme et continue des femmes jeunes et moins jeunes de différentes couches sociales et de différentes éducations, qui sont dans la politique, dans la défense des femmes et c’est bien. Il était temps. Il y a eu beaucoup de femmes qui ont lutté pour en arriver là. La dernière avenue : des jeunes femmes qui montent sur scène en solo sans complexe, sans vulgarité, sans langue de bois : c’est fascinant, je n’aurais jamais pensé voir ça !
En Haïti, est-ce aux femmes de faire évoluer les mentalités ?
C’est beaucoup de mettre tout sur les épaules des femmes, avant c’était les hommes et maintenant c’est les femmes. Je suis pour un partenariat entre les femmes et les hommes. Je pense que la littérature haïtienne est plus totale elle réfléchit plus une réalité car il y a plus de femmes qui écrivent et qui ouvrent d’autres univers vers la littérature. Qu’elles avancent avec les hommes, on en a besoin et avec les autres femmes aussi. C’est le partenariat qui amènera quelque chose de positif.
Que pensez-vous des mouvements comme #balancetonporc, #metoo ou encore #Timesup qui dénoncent les agressions sexuelles faites aux femmes ?
Dans ce cas particulier d’une vague de dénonciation d’une tendance, du harcèlement qui peut être violent, je suis d’accord à 100%. Il faut renverser cela. Le viol c’est le summum de l’affront, le déni d’humanité d’une femme, mais il y a aussi les attouchements, les plaisanteries salaces qu’on accepte pour garder son emploi. Les femmes le vivent au quotidien. Pour moi toute cette mouvance, même si elle est un peu outrée, elle est nécessaire.
Qu’est-ce que ça représente pour vous le 8 mars ? Y a-t-il une situation particulière en Haïti ?
Je ne suis pas très anniversaire. Le symbolisme d’un jour dans l’année n’est pas tellement important pour moi. C’est humain et de tradition de fêter les anniversaires. Est-ce qu’on arrête d’être une femme le 9 mars ? Est-ce qu’on l’est un peu moins le 7 mars ? c’est la continuité dans l’effort qui pour moi est intéressante mais la symbolique est importante aussi. Nous avons une communauté féministe assez forte en Haïti.
Propos recueillis par Marie-Carline Chardonnet