Entretien avec Marc Raynaud, président de l’Observatoire du management intergénérationnel (Omig)
Vous êtes président fondateur de l’Observatoire du management intergénérationnel. En quoi consiste cet observatoire ?
Il s’agit d’un observatoire d’analyse des pratiques et des tendances d’évolution du management intergénérationnel. Nous produisons des études et nous organisons aussi des échanges de bonnes pratiques entre entreprises. Cette année, nous avons creusé la question des conflits intergénérationnels pour savoir, en particulier, s’ils ont tendance à se multiplier. Il est intéressant de remarquer que les jeunes ont l’impression que la fréquence de ces conflits augmente contrairement à ce que ressentent les anciens.
Comment vous est venue l’idée de créer cet observatoire ?
L’idée de créer cet observatoire m’est venue car en travaillant dans plus de 36 pays, j’ai remarqué, qu’en plus des différences culturelles, il existait une différence entre générations. Et cette différence, si on n’y prend pas garde, peut créer des problèmes alors que, a contrario, bien exploitée, elle peut être très bénéfique pour l’entreprise.
Pensez-vous que le « Contrat de Génération* » soit une bonne réponse au défi de l’intergénérationnel ?
L’esprit du contrat de génération était d’inciter les entreprises qui voulaient recruter à embaucher des jeunes. C’était une des mesures phares du candidat Hollande. J’ai travaillé avec le cabinet du ministre du Travail sur ce contrat mais force est de constater que le ministère n’a pas mis des moyens suffisants pour réaliser cette priorité. Le Gouvernement a choisi de ne communiquer que sur le dispositif administratif et économique. Or, une entreprise qui embauche attend bien autre chose qu’une économie de 4 000 euros. Elle attend une augmentation de sa productivité et de son chiffre d’affaires grâce à l’embauche de quelqu’un qui lui apporte un plus. Et c’est sur ce point que le ministère aurait dû insister. Résultat : au lieu des 500 000 contrats annoncés seuls 35 000 ont été mis en place.
Quels sont les enjeux et les bénéfices de l’intergénérationnel aujourd’hui ?
L’enjeu principal perçu par les entreprises c’est la transmission. Transmettre ses compétences rapidement avant que les anciens ne disparaissent.
Un autre enjeu dans l’intergénérationnel et qui apparait bien dans notre dernière étude, c’est d’attirer les talents. Ce qui est très difficile en ces temps-ci, malgré un chômage vertigineux. La tension sur les talents ne fait que s’accroître. Chaque jour dans les journaux, on trouve un article sur ces métiers en tension : notaires dans les campagnes, personnes pour accompagner les personnes âgées, soudeurs etc. Et donc il ne s’agit plus juste de garder les jeunes qui ont envie de partir au bout de 2 ans mais aussi d’inciter les plus anciens à rester, notamment ceux qui ont des talents particuliers à transmettre.
L’intergénérationnel est-il suffisamment pris en compte aujourd’hui dans le monde du travail en France ? Quels sont les pays phares pour la gestion de l’intergénérationnel au travail ?
Par rapport à la Scandinavie, nous avons 10 ans de retard. Des pays comme la Finlande s’en sont déjà préoccupés et se sont rendu compte que s’ils n’attiraient pas les jeunes, le pays pourrait disparaître. Le « vieillir actif » est dans leur philosophie, on travaille plus longtemps, mais aussi moins d’heures dans la journée, et on n’attend pas la même productivité de tous.
En France, on commence à s’intéresser à l’intergénérationnel. Notre première enquête en 2012 a montré qu’une entreprise sur 4 avait un projet sur l’intergénérationnel, 47% l’année suivante ; c’est donc un sujet qui prend de l’ampleur. Mais la sensibilisation que nous menons reste essentielle.
En Amérique du Nord il s’agit d’un enjeu culturel. Les Québécois sont très sensibles à cette dimension intergénérationnelle, les approches de leurs entreprises sont très différentes. Par exemple, on ne comprend pas l’intérêt de l’entretien obligatoire de deuxième partie de carrière, les personnes de 50 ans et plus ne sont pas considérées de la même façon.
En France, pendant des décennies on a expliqué aux gens de plus de 50 ans qu’il fallait laisser la place aux jeunes. On les a persuadés que ça ne valait plus la peine de se former. C’était la culture de la pré-retraite, une culture qui convenait bien à l’Etat, aux syndicats, aux directeurs d’entreprises et aux gens. On a installé dans la tête des gens qu’ils ne valaient plus rien après 50 ans alors qu’aujourd’hui, quand on a 50 ans, on a encore au minimum 10 ans à travailler, cela n’a donc plus de sens. Et cela va prendre du temps de changer cette culture et les croyances qui vont dans ce sens. Changer l’image qu’on a des séniors pour rendre le « vieillir actif » plus attractif va prendre 30 ou 40 ans. Pour l’instant, personne ne s’en occupe. Aujourd’hui, il y a environ 20 000 centenaires en France et, avant que je ne meure, il y en aura 200 000. Qui va s’en occuper ? Est-ce qu’on est prêt psychologiquement, économiquement, spirituellement à accompagner ce vieillissement ? Pas du tout.
Et le numérique, quasi-omniprésent dans le milieu professionnel, ne crée-t-il pas de fait un fossé intergénérationnel ?
Je crois que nous sommes prisonniers de nos représentations. Aujourd’hui, vous avez plus de gens de 50 ans dans le monde qui se connectent sur Internet que des gens de moins de 50 ans. C’est allé très vite. Il y a plus de pouvoir d’achat chez les consommateurs de la catégorie des plus de 50 ans. Ils ont peut-être mis deux ans de plus pour y parvenir mais aujourd’hui ils sont plus importants en nombre. Et ce fossé n’est pas dangereux dans les entreprises aujourd’hui car la réaction est très rapide.
Comment l’entreprise peut-elle concilier l’allongement des carrières et l’arrivée des jeunes générations ?
A l’Observatoire, on est sensible au regard que posent les entreprises sur l’intergénérationnel. Il ya 4-5 ans la tonalité était à l’embauche des jeunes, souvent chômeurs. Deux ans après, il était question de transmission de compétences entre jeunes et vieux. Aujourd’hui on entend parler des jeunes comme d’un élément essentiel pour faire avancer les entreprises, comme d’une source de nouvelles compétences. Cela veut dire que le regard sur les jeunes a évolué mais pas celui sur les plus anciennes générations.
Les gens qui ont 20 ans et ceux qui ont 50 ans doivent-ils subir les mêmes règles ? Aujourd’hui on négocie des accords qui s’appliquent à tous, quel que soit l’âge. Cela a-t-il vraiment un sens ? Je suis convaincu que les anciens doivent travailler plus longtemps mais pas de la même façon, pas aux mêmes horaires.
Que fait, qu’apporte un manageur intergénérationnel ? Avez-vous des exemples concrets d’initiatives réussies ?
Le management intergénérationnel peut se définir comme l’art de faire travailler ensemble les différentes générations en tirant le meilleur parti de leurs forces. C’est une nouvelle dimension essentielle du management.
Le Reverse Mentoring, ou mentorat inversé, est une des méthodes du management intergénérationnel qui consiste à mettre les jeunes en situation de former les anciens. Chez Safran par exemple, vous êtes recruté comme jeune ingénieur pour travailler sur une nouvelle machine et en plus de votre mission principale, vous avez une deuxième mission qui est de transmettre aux plus anciens vos connaissances en nouvelles technologies. Cette pratique valorise beaucoup les nouveaux arrivés et facilite leur intégration. Le Reverse Mentoring se pratique aussi beaucoup dans le cadre du numérique.
Les bénéfices de la méthode pour l’entreprise sont nombreux. Elle permet d’enrichir la stratégie numérique et aussi de fidéliser la jeune génération, en valorisant des talents différents et en améliorant l’image qu’en ont les autres générations.
*Le contrat de génération est un dispositif visant à favoriser le maintien en emploi des seniors, l’insertion durable des jeunes dans l’emploi et la transmission de compétences dans l’entreprise. Il comprend 2 volets : la négociation d’accords collectifs (ou l’élaboration de plans d’actions) dans les entreprises de plus de 50 salariés et une aide financière pour les entreprises de moins de 300 salariés qui recrutent un jeune en CDI et maintiennent ou recrutent un salarié âgé.
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