Conflans Ste Honorine (Yvelines) : depuis 2011, plusieurs centaines de réfugiés tibétains sont arrivés en situation de grande précarité. Ils sont accueillis sur la péniche « Je sers », où des associations regroupées autour de « La Pierre Blanche », organisent solidarité et hébergement, avec le soutien de citoyens.
Nathalie et Julien hébergent depuis un mois deux jeunes Tibétaines, Tashi et Lobsang. Chacun accueillants et accueillis ont acceptés de témoigner pour notre magazine.
Nathalie accueillante
« Comme beaucoup, je suis sensible à la situation du Tibet mais je n’avais jamais approfondi la question. Quand nous avons emménagé ici, j’ai été rapidement interpellée et touchée par la situation des réfugiés que nous croisons tous les jours en ville. J’ai demandé à l’association La Pierre Blanche comment les aider, et c’est ainsi que Tashi et Lobsang sont arrivées chez nous.
La cohabitation se passe très bien, sans heurts. Ce sont des jeunes femmes responsables, engagées, faciles à vivre. Nos relations sont naturelles, nous nous comprenons très bien. Le soir, nous cuisinons, nous tricotons. Elles insistent pour préparer un repas tibétain pour nos copains. Une vraie complicité s’installe. Il arrive que, le week-end, nous les emmenions visiter Paris. Nous avons aussi passé une journée ensemble à Honfleur. Elles n’avaient jamais vu la mer, elles en ont même goûté l’eau.
Doucement, elles sont devenues une partie de la famille. Ma fille de sept ans leur apprend le français, à sa manière. Mon père leur a proposé de passer l’été chez lui, en Bretagne, pour s’occuper de la grand-mère et des petits enfants.
Notre démarche me semble évidente. Pour mes études, j’ai séjourné et travaillé en Afrique et en Asie. Là-bas, il me semblait indécent de parler de la vie en France, de montrer des photos. Là, je n’ai aucun complexe à faire découvrir mon pays et à partager la vision que j’en ai. Je mets un point d’honneur à leur montrer comment vit une femme ici. Elles m’ont accompagnée au bureau de vote, elles ont vu ce qu’est la démocratie en action. Elles viennent aussi avec moi au supermarché, à la crèche. Pour moi, la boucle est bouclée. Et je suis fière de faire vivre une telle expérience à mes enfants.
Au début, Tashi et Lobsang devaient rester chez nous dix jours, puis un mois, puis quatre mois. Maintenant, nous avons convenu de les héberger jusqu’à l’obtention de leurs papiers. Avant de nous lancer dans cette aventure, mon mari et moi avons hésité, nous doutions de pouvoir assumer cet engagement humain et citoyen. Héberger des personnes déracinées et en très grande difficulté, cela peut être compliqué. Mes réserves ont rapidement disparu. Mon mari est encore un peu réticent, il craint que les enfants s’attachent trop. Pour ma part, je suis inquiète à l’idée de les voir partir, j’ai peur qu’il leur soit difficile de prendre leur envol. »
Lobsang, Thibétaine de 22 ans raconte son histoire
« Je ne peux pas vous montrer mon visage pour protéger les miens au Tibet. Je suis arrivée à Conflans il y a trois mois. Si je suis maintenant libre, mon pays ne l’est toujours pas. Depuis 1949, la répression est incessante et impitoyable. Nous n’avons plus de droits, notre identité culturelle est effacée dans la violence, les militants risquent la prison ou pire. Comme beaucoup d’autres, je veux que mon pays retrouve son indépendance.
Je suis de la ville de Kharzey, dans la province de Kham. Mes parents sont fermiers. J’ai un frère et une sœur, je suis la petite dernière. C’est ma famille qui m’a fait partir pour me mettre à l’abri. Le 13 juillet, des manifestations ont eu lieu suite à la mort de Tenzin Delek Rinpoché, un lama très respecté, qui avait passé treize ans dans les prisons chinoises. L’armée a tiré sur la foule. Le lendemain, le 14 juillet, j’ai dû partir. Mon père m’a mise dans une voiture pour Lhassa, le voyage a duré trois jours et demi. Là, j’ai retrouvé un passeur que mon père avait engagé. Après dix jours de marche à travers forêts et montagnes, j’ai gagné le Népal en toute clandestinité. De là j’ai gagné la France.
J’ai choisi de venir en France car c’est le pays des droits de l’homme et car nous, les Tibétains, n’y sommes pas considérés comme des criminels, mais comme des réfugiés politiques. A Conflans, je suis hébergée chez une famille et je prends mes repas sur la péniche avec d’autres réfugiés et des sans-abris. Tous les jours, je suis quatre heures de cours d’alphabétisation, je commence à me débrouiller en français. Des bénévoles m’aident aussi dans mes démarches administratives. Tous les jours, je retrouve mes camarades et nous faisons ce qui est interdit chez nous : parler de la situation politique au Tibet. Nous rigolons aussi, ils me soutiennent. Il m’arrive de pleurer, souvent. Ma famille me manque. Je n’ai pu leur parler qu’une seule fois depuis que je suis en France.
Ma lutte pour le Tibet est loin d’être finie. C’est pour cela que je veux devenir citoyenne française. Il me faut obtenir des papiers, étudier le français, trouver un emploi. C’est difficile mais j’y arriverai. Une fois naturalisée, je pourrai continuer à militer, aller au Tibet sans aucune crainte, revenir ici. Les autorités chinoises ne pourront plus rien contre moi.«
Propos recueillis par Alexandra Guedet
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