Accueil 5 L'association 5 Argentine : Fábrica sin patrón ( Page )

Ah, l’Argentine… Ce pays me fait rêver sans y être allé. Il faut dire que je suis né dans une « rue de Buenos Aires ». Cela m’évoque le dépaysement, les grands espaces, une culture différente, le tango, une agriculture très développée mais aussi la dictature, les tortures et disparitions d’opposants, la crise économique de 2001 et une vie démocratique restaurée. Dans ma chronique de janvier, j’évoquais un projet de loi qui, en France,  permettrait à des salariés d’accéder à la propriété de l’entreprise lors de sa cession pour permettre la poursuite d’activité : là bas, des ouvriers d’une usine de carrelage l’ont fait : ils n’ont pas de patron !


FA SIN PAT !

En 1978, Luigi Zanon, soutien des dictateurs en place qui lui ont prêté des fonds publics qui n’ont jamais été remboursés, fonde une usine de carrelages située dans la province de Neuquén, dans le sud du pays. En 2001, il croit intimider les salariés en profitant de la crise économique et décide des licenciements. Il s’en suit un procès à l’initiative du syndicat qui accuse le fondateur d’avoir fait fuir des capitaux… Luigi Zanon est condamné à un lock out fiscal, c’est la première fois en Argentine.
Avec le soutien de l’organisation des Mères de la Place de Mai qui permettent de commercialiser leur production en autorisant l’usage de leur « numéro de CUIT » (indispensable à la mise sur le marché d’un produit),  et suivant les conseils de leurs avocats, ils créent une coopérative et obtiennent ainsi la relative légalité de leur activité. Ils rebaptisent leur usine « FaSinPat », Fábrica sin patrón, l’usine sans patron.
Bénéficiant des mesures économiques, notamment l’abandon en 2002 du régime de change fixe « 1 peso = 1 dollar », et la conversion de tous les comptes en banque initialement en dollars en pesos au taux de change officiel, la coopérative développe son activité et sécurise son avenir économique.


10 novembre 2012 : assemblée générale en fête

Mais il fallait aussi pérenniser la forme juridique. Si la structure coopérative permettait de fabriquer, de vendre et de fonctionner (un même salaire pour tous, une personne, une voix dans toutes les assemblées), l’activité n’a pu être légale qu’avec des autorisations gouvernementales temporaires, renouvelées annuellement certes, mais générant inquiétudes permanentes et grâce à l’énergie des salariés pour obtenir que la « coopérative transitoire » continue.
C’est en 2009 qu’ils déposent officiellement le dossier ouvrant la procédure d’expropriation de l’ancien propriétaire « Zanon Céramics »  au profit des salariés de la coopérative. Trois ans après, la décision favorable à la coopérative tombe.
« Même si la décision n’est pas totalement idéale puisque les salariés ont dû payer quelques compensations au précédent propriétaire, c’est un pas de géant et le fruit d’une longue bataille », exprime Natalio Navarette, salarié de FaSinPat, et secrétaire général du syndicat.

 

De nouveaux défis et des soutiens du monde entier

Bien sûr, il reste des défis à relever, notamment celui du financement des investissements pour renouveler et moderniser le parc de machines. « C’est notre prochaine étape », explique Natalio.
Beaucoup de regards se portent sur cette expérience. Près de 280 usines ont été occupées en Argentine, avec des destins différents comme pour toute entreprise: isolement, répression, manque de leader et de cohésion du groupe, organisation du patronat, etc… ont généré aussi des échecs. Natalio souligne : « Si l’on me demande un conseil, je réponds que c’est à chaque collectif, à chacun en son sein, de considérer ses propres situation et circonstances d’entreprise pour agir ».
Les soutiens à FaSinPat ont été nombreux. Je citerais celui de Manu Chao, qui est allé soutenir la coopérative par un concert en novembre 2011, pour le Xème anniversaire. Je lui laisse le mot de la fin : « La chose la plus importante est sa propre représentation de la puissance d’un modèle horizontal []. Ses détracteurs ne savent pas comment l’appréhender : ils veulent toujours un leader ou quelqu’un à attaquer ».

 

Benjamin Ty Shen

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