Lorsqu’elle a enfilé son habit de vendeuse au kiosque de la « Girafe curieuse » à EuroDisney, la Française Valérie Khan ne se doutait pas qu’elle y rencontrerait l’amour de sa vie. Et encore moins qu’elle deviendrait avec lui la pasionara des femmes vitriolées au Pakistan. Plus de vingt ans plus tard, elle en rit encore, l’oeil pétillant, dans un café inondé de lumière d’Islamabad où elle dirige avec son mari l’ONG Acid Survivors Foundation (ASF).
En 1992, elle déniche un job étudiant pour l’ouverture d’EuroDisney, près de Paris. Elle y croise un Pakistanais aux allures de gentleman, Fagir, responsable des relations publiques du parc. « Il était fascinant, avec son visage très émacié, j’avais l’impression que c’était Kessel en direct », dit-elle.
Quatre ans après leur rencontre à EuroDisney, ils se marient. Valérie rêve de Chine. Fagir, fier Pachtoune, cette grande tribu réputée indomptable établie à cheval entre le Pakistan et l’Afghanistan, n’a lui qu’une idée en tête: retrouver son pays. Ce sera donc le Pakistan, projet que le couple annonce à la famille de Valérie. Psychodrame. Puis on se rabiboche.
Au Pakistan, c’est au tour de la jeune femme de passer un rite initiatique au village pachtoune de Chota Lahor, dans le nord-ouest. Vêtue d’une tunique rouge en soie, assise sur une natte constellée de coussins brodés, ne parlant pas la langue locale, elle reçoit les salutations des femmes.
Le beau-père, un vieil homme qui impose « respect » et « dignité », l’observe en silence. Au bout de trois jours, son verdict tombe: « Elle a le coeur pur ».
« Les Bretons et les Pachtounes ont des points communs: ils sont têtus et ont l’habitude de bouger. Et surtout, ils se battent pour la cause à laquelle ils croient », souligne Valérie, Bretonne qui parle maintenant le « pachto » comme les gens du coin, confirme un journaliste local qui l’a interrogée.
A Islamabad, elle enseigne le français et Fagir travaille à l’ambassade de France. Le couple, qui a aujourd’hui quatre enfants quadrilingues (français, anglais, ourdou et pachto), s’installe en 2004 à Lahore (est).
Un jour, Valérie entre dans un salon de beauté avec son fils. « Je vois des femmes qui ont des grosses boules de peau sur le cou. Mon fils me demande: qu’est-ce que c’est ? Et comme une imbécile je dis que c’est peut-être une tumeur ». En fait, ces boules de peau, les médecins les font grossir puis s’en servent pour greffer les victimes du vitriol, cet acide jeté au visage d’une personne pour la défigurer à jamais. La gérante du salon a pris l’habitude d’aider les victimes de l’acide.
Valérie se lance dans l’aventure à ses côtés, avant de jeter l’éponge au bout de trois mois après avoir découvert une comptabilité douteuse.
La famille rentre à Islamabad, où les mécènes britanniques de l’association de Lahore, l’Acid Survivors Trust International (ASTI), retrouvent Valérie et lui suggèrent de monter sa propre ONG avec leur soutien.
En 2006, Fagir et Valérie lancent l’ASF, plongeant du même coup dans une des réalités les plus taboues du pays. Ils enquêtent sur les cas de femmes vitriolées qu’ils font bientôt bénéficier de greffes de peau. L’ASF se mobilise aussi devant les tribunaux. En novembre 2009, première grande victoire: la Cour suprême annule l’acquittement d’un instituteur ayant défiguré une adolescente qui avait refusé ses avances.
La presse locale s’empare de l’affaire. La plus haute juridiction convoque ensuite une audience pour faire un état des lieux sur le vitriolage. Valérie est dans la salle. Le juge en chef lui demande de témoigner… en ourdou.
« J’ai eu la trouille de ma vie… », se souvient-elle. Mais la Française, intarissable sur ce sujet qui la passionne et occupe ses journées, convainc le juge, qui demande au gouvernement de sévir.
Deux ans plus tard, début de consécration: le Pakistan renforce les sanctions contre les jets d’acide, désormais passibles de 14 ans de prison et 10.000 dollars d’amende, une fortune dans ce pays pauvre.
Depuis, le taux d’inculpation a triplé. Et le combat de Valérie a inspiré un documentaire sur les victimes de l’acide qui a permis l’an dernier au Pakistan de remporter son premier Oscar. Comme quoi d’EuroDisney à Hollywood, il n’y avait qu’un pas.
Source : AFP – 8 mars 2013 – Guillaume LAVALLEE