J’ai entendu parler de cette expérience une première fois, il y a environ deux ans à Paris, lors d’une soirée chez ma sœur. Chacune des personnes présentes, presque tous des quinquagénaires, avait un mot à dire sur les difficultés qu’ils éprouvaient à assumer la charge de leurs parents. Peu à peu la conversation s’est retournée et on a alors évoqué les difficultés qu’avaient leurs parents à vivre leur vieillesse dans la dignité.
Car là est toute la difficulté. Respecter la dignité de la personne âgée, ne pas l’infantiliser, ne pas la contraindre à des choix que leurs enfants -ou la société – fait à leur place.
Pourquoi beaucoup de personnes du 3° ou 4° âge, si vous préférez, sont terrorisées à l’idée d’un départ en « Maison de Retraite » et repoussent indéfiniment l’échéance ? Réfléchissez un peu. Vous aimeriez, vous, souper à 18 heures parce que l’équipe des aides soignantes de jour vont quitter l’établissement ? Vous aimeriez qu’on vous porte le pot de chambre à 10 heures et à 16 heures et pas à un autre moment ? Vous aimeriez ne jamais avoir le droit de donner un avis sur la déco de votre chambre, ne jamais pouvoir faire changer le menu, même si vous avez mal au ventre ou si vous n’avez jamais pu digérer l’ail dans le rôti de porc ?
Vous aimeriez qu’on vous fasse la toilette – moment avilissant entre tous- au pas de course car il y a encore sept pensionnaires qui attendent ou qu’on décide à votre place qu’aujourd’hui vous ne sortirez pas parce qu’il fait trop froid ou qu’il y a trop de soleil ou qu’on vous éteigne la lumière à 22 heures alors que vous êtes plongé dans un chapitre passionnant de votre livre ?(4)
Le fait de devoir s’en remettre à des inconnus qui décident de tout à votre place est non seulement infantilisant, mais c’est dégradant. La vieillesse est un naufrage a-t-on coutume de dire. La dépendance est à mon avis le comble de l’horreur.
Les Babas Yagas(3) se sont librement acceptées après une période d’essais. Elles ont mis au point une Charte qu’elles doivent signer par laquelle elles s’engagent à s’entraider mutuellement. Depuis plusieurs années maintenant elles mutualisent leurs avoirs financiers pour payer leurs factures communes tout en se gardant un peu d’argent pour leurs petites dépenses personnelles. Elles cuisinent ou font les courses les unes pour les autres et leurs décisions pour ce qui concerne la vie en communauté sont prises ensemble. Les plus faibles sont aidées par les plus valides. Bref sans vouloir se cacher qu’au-delà de cette belle harmonie de façade il peut bien se jouer des petites chamailleries inhérentes à la vie en communauté-à la vie tout court-le respect mutuel est là ainsi que l’entraide et la vieillesse et la dépendance repasseront un autre jour. Elles sont là toutes ensembles pour leur damer le pion.
(3). Sorte de maison d’accueil, fonctionnant en coopérative fondée par un groupe de femmes seules voulant vivre ensemble pour faire face à la solitude et s’entraider mutuellement dans la gestion des petits soucis quotidiens.
(4). Bien des choses changent dans les maisons de retraite : il est maintenant défendu de vous appeler par votre prénom : on doit vous donner votre civilité toute entière. On ne peut plus vous obliger à aller à l’atelier de pâte à sel si vous n’en avez pas envie. Mais on ferme votre fenêtre avec un dispositif de sécurité « pour votre bien » et pour le goûter on vous donne ces gaufrettes que vous abhorrez sans jamais vous proposer autre chose.
Viviane Claverie
A suivre…
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