Le Président français, Nicolas Sarkozy, était en visite express à Addis-Abeba dimanche 30 janvier 2011. Il n’a pas pris le temps de rencontrer la communauté française d’Éthiopie. Français du Monde-ADFE Éthiopie a tenu à l’interpeller, via la lettre ouverte ci-dessous, sur l’impact pour les Français établis hors de France des réformes qu’il a entreprises, à l’image de ce qu’on constate en Éthiopie.
Addis-Abeba, jeudi 27 janvier 2011.
Objet : Dégradation des politiques publiques françaises à l’étranger vécue en Éthiopie
Monsieur le Président de la République,
La section Éthiopie de l’association « Français du Monde – Association Démocratique des Français de l’Étranger », reconnue d’utilité publique, souhaite profiter de votre visite officielle à Addis-Abeba pour vous signaler les impacts négatifs des réformes que vous avez engagées depuis le début de votre mandat. Face à la dégradation des politiques publiques pour les Français de l’étranger, et particulièrement d’Éthiopie, nous vous demandons de revoir certaines réformes et de prendre des mesures plus adaptées aux besoins de notre communauté mais aussi à ceux de nos partenaires internationaux.
Si nous ne pouvons que souscrire aux grands objectifs de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) lancée en 2007, c’est-à-dire améliorer la qualité du service public, maîtriser les dépenses de l’État et mieux valoriser le travail des fonctionnaires, force est de constater que les résultats ne sont pas au rendez-vous, bien au contraire.
Nous souhaitons attirer votre attention sur quatre domaines en particulier :
1. Éducation
Depuis le lancement des réformes dans l’éducation nationale, 80 000 postes ont été supprimés en 5 ans, ce qui n’est pas justifié en terme d’évolution démographique ou de modification des missions. Pis, la réforme conduit, via le recrutement des enseignants sur master, à une détérioration de leur formation, en particulier dans le domaine pédagogique. Les mesures d’austérité budgétaire tous azimuts ont provoqué l’érosion et la dégradation de pans entiers de services (santé et psychologie scolaire notamment). Aussi sommes-nous très sceptiques sur les projets en cours, qu’il s’agisse des projets relatifs aux nouveaux programmes et à une nouvelle organisation du temps scolaire, ou à ceux relatifs aux « droits » des parents.
L’application de ces réformes à l’étranger, via l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), est d’autant plus néfaste que l’on s’obstine à maintenir envers et contre tous la prise en charge des frais de scolarité (PEC). Plutôt que d’utiliser des millions d’euros pour « offrir » des frais de scolarité aux élèves de seconde, première et terminale, sans aucun critère social ni financier, il serait plus juste d’utiliser le budget alloué à la PEC pour mettre en place une politique de bourses plus ambitieuse à l’égard des enfants français vivant à l’étranger, à commencer par les plus modestes.
Dans ce contexte, le Lycée Guebre Mariam à Addis-Abeba, fleuron de la coopération franco-éthiopienne, est dans une situation précaire. Sa capacité à maintenir les locaux et la qualité de l’enseignement est remise en question par les multiples tensions financières auxquelles les gouvernements français et éthiopien n’ont toujours pas répondu.
2. Protection sociale
Nous constatons, face à une précarité grandissante chez les Français de l’étranger (plus de 100 000 personnes en grande précarité,dans le monde) que les crédits sociaux accordés via les consulats ont baissé de 25% en 8 ans, ceux pour l’emploi et la formation de 25% rien qu’en 2010. La suppression de postes et les autres conséquences de la RGPP appliquée aux services consulaires entrainent déjà un accès plus difficile à ces services pour les Français de l’étranger. S’ajoute la réforme des retraites qui, outre son injustice générale, est particulièrement défavorable aux Français de l’étranger pour lesquels le rachat de trimestres est plus coûteux et pour lesquels rien n’est prévu quand ils ont dû renoncer à toute activité professionnelle pour suivre leur conjoint à l’étranger. Ce dernier point représente un réel problème en Éthiopie dans la mesure où la France n’a toujours pas conclu d’accord bilatéral permettant le travail des conjoints d’expatriés.
Au regard de la situation en Éthiopie, où les besoins sociaux sont limités mais réels, nous devons surtout dénoncer le difficile accès à la Caisse des Français de l’étranger (CFE) et à sa troisième catégorie dédiée aux personnes à revenus modestes. Les cotisations pour cette dernière ont augmenté fortement et son financement général n’est même plus garanti par l’État.
3. Culture et recherche
La réorganisation du Ministère de la Culture a conduit à un transfert d’une partie de ses missions vers le secteur privé. Celle du Ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur conduit au développement des financements à la performance, à l’autonomisation des universités qui doivent avoir recours aux partenariats public-privé. Pour l’étranger, une nouvelle réforme du réseau culturel français a été engagée.
Sur ce dernier point, le constat en Éthiopie est celui d’une réduction de moyens, tant humains que financiers, qui se traduit par une forte érosion des actions de coopération culturelle, linguistique et scientifique, alors que se manifeste une plus grande demande des partenaires locaux. Plus particulièrement, la réduction conséquente du nombre d’assistants techniques (6 suppressions en cours sur les deux dernières années) placés auprès des ministères ou institutions locales conduit à l’effacement progressif de la présence et de la coopération françaises en Éthiopie. Comme dans de nombreux pays, ces mesures traduisent la logique purement budgétaire de la réforme en cours.
4. Aide publique au développement
Alors que l’atteinte en 2015 des objectifs du millénaire pour le développement n’est pas assurée, le gouvernement français tend à surestimer l’aide publique au développement, dont 43 % peuvent être considérés comme artificiels. Les besoins sociaux restent gigantesques dans les pays les moins avancés, mais on constate une réduction des moyens en dons de l’Agence française de développement (AFD) et une croissance de ses moyens en prêts concomitante à une extension de son mandat aux pays émergents. Au delà des moyens et de la pertinence de la stratégie fixée pour la coopération française, le problème de son pilotage reste entier, d’autant que 41% de l’aide française passent par des organisations multilatérales. La réalité et l’efficacité de l’aide française sont ainsi remises en question. Pour exemple, des promesses en dizaines de millions d’euros sont faites dans les secteurs de la santé et du changement climatique sans certitude sur la disponibilité des financements publics.
En Éthiopie, pays non prioritaire pour notre pays, l’aide publique française est sauvée par le développement des prêts de l’AFD, alors que les dons français baissent au même rythme que l’assistance technique. Mais on peut également s’interroger sur les choix de l’Union européenne, dont le fonds de développement est abondé à 19,55% par la France, de donner 250 M€ au secteur routier alors que les travaux sont réalisés en quasi-totalité par des entreprises chinoises peu scrupuleuses en matière sociale et environnementale.
Au delà de ces quatre secteurs, nous devons regretter les coups portés à l’image de la France à l’étranger. Les dérives de certains hauts responsables, en particulier la politique menée à l’égard des Roms, le discours contesté sur « l’homme africain », la complaisance vis-à-vis de certains régimes, à commencer par celui de l’ex-président Ben Ali, la promotion aveugle des intérêts commerciaux de la France, à l’image d’Areva au Niger, sont autant d’exemples d’une politique étrangère qui nous rend mal à l’aise en tant que Français établis hors de France.
Monsieur le Président de la République, nous souhaitons sincèrement la réussite des réformes en France, le pays en a besoin dans de multiples domaines. Nous devons cependant souligner les défauts de conception et de mise en oeuvre des réformes qui nous concernent directement, constatant également le manque de dialogue et de longueur de vue dans leur poursuite.
Comptant sur un changement de cap dans la conduite des réformes de nos politiques publiques, nous vous prions, Monsieur le Président de la République, d’agréer l’expression de notre haute considération.
Claude Vilain
Président de Français du Monde ADFE Éthiopie
Français du Monde ADFE Section Éthiopie P.O.B. 12 611 Addis-Abeba, Éthiopie Tel : +251 911 41 11 72