Français établis à l’étranger, nous sommes des immigrés dans nos pays de résidence. Même si l’émigration en provenance des pays riches – dont la France fait partie – est le fait de citoyens qui ont bénéficié d’un bon niveau de formation grâce auquel leur insertion socio-professionnelle est facilitée, nous savons ce que c’est d’être étranger. Les attaques récurrentes contre les immigrés en France nous atteignent. Eux, comme nous, apportent à leur pays d’accueil une force de travail qui ne lui a rien couté et le dynamisme propre aux migrants.
L’appel de Martin Hirsch, Etienne Caniard, Philippe Aghion, François Chérèque, Etienne Pinte et François Soulage, rétablit des faits qu’il est utile pour nous tous de connaître.
L’idée que l’immigration serait responsable de nos déficits sociaux n’est pas nouvelle. Elle revient en force aujourd’hui, au-delà de la rhétorique sempiternelle de l’extrême droite, pour justifier la perspective de rendre plus difficile l’accès des immigrés aux prestations sociales.
Une fécondité plus dynamique, un taux de chômage plus élevé, un état de santé plus vulnérable, un accès possible aux minima sociaux serait à l’origine d’un coût pour les dépenses sociales. Voilà ce qui est avancé pour prétendre qu’avec moins d’étrangers sur notre sol, les dépenses sociales seraient moins élevées et les déficits publics jugulés. Ce raisonnement partiel est faux.
«L’arrêt de l’immigration creuserait le déficit de la protection sociale.» Une étude récente réalisée par le laboratoire Equippe de l’université de Lille I a dressé un bilan du financement de la protection sociale appliquée aux seuls migrants. Cette étude, financée par le ministère des Affaires sociales, est solide. Elle montre notamment que, après 60 ans, les transferts reçus par les migrants deviennent significativement inférieurs à la moyenne. Ils utilisent moins le système de santé. Ils touchent de plus petites pensions de retraite.
Au total, le bilan des coûts et des contributions des migrants au financement de la protection sociale produit un bilan positif de 3,9 milliards d’euros. La contribution nette globale de l’immigration aux budgets publics serait, quant à elle, de l’ordre de 12 milliards d’euros. L’étude estime que l’arrêt de l’immigration aujourd’hui creuserait le déficit de la protection sociale à hauteur de 1 % du PIB à l’horizon 2030.
Il n’existe, en revanche, aucun rapport officiel public, aucun travail académique qui infirme ces travaux scientifiques. Y a-t-il des données cachées ? Si elles existaient, on aurait du mal à comprendre pourquoi ceux qui défendent cette thèse ne s’empressent pas de les rendre publiques.
Si on divisait par deux le nombre d’immigrés, on creuserait donc les déficits publics, au lieu de les combler. Cela peut paraître paradoxal, mais c’est vrai. Les Français ne sont pas privés de prestations sociales par les immigrés que nous accueillons : ceux-ci contribuent au contraire à notre protection! Et dans ce domaine on se garde bien de se référer au modèle allemand, qui compte sur une immigration accrue pour combler ces déficits démographiques.
Le maintien d’un modèle social protecteur n’est pas menacé par l’immigration. C’est la cohésion sociale qui est menacée quand on fait croire à l’opinion publique que les immigrés sont les responsables de maux qui nous appartiennent, et qu’il nous appartient de résoudre. Cela ne signifie pas qu’il ne serait pas légitime de débattre des questions d’intégration, de la politique d’immigration, ni de l’avenir de la protection sociale. Autant de sujets importants et difficiles, mais distincts. Faire croire que les immigrés creusent nos déficits sociaux est une idée trompeuse.
Par Martin Hirsch ; Étienne Caniard, président de la Fédération nationale de la Mutualité française ; Philippe Aghion, professeur d’économie à Harvard ; François Chérèque, secrétaire général de la CFDT ; Étienne Pinte, député UMP, président du comité national de lutte contre la pauvreté et l’exclusion ; François Soulage, président du Secours catholique.
Paru dans « Le Journal du Dimanche« le 11 mars 2012